Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 169 )

rapidité, et tous ces plaisirs bruyans sont le prestige et non l’emploi de la vie.

Homme d’un jour, placé par l’éternelle nécessité sous la loi de la douleur et du plaisir, ta seule fin morale est le bonheur, et ton seul devoir le moyen convenu pour le bonheur de tous. Ton existence toute entière est dans cette alternative, jouir ou souffrir. Tous les êtres pesent et gravitent les uns sur les autres, soutenus chacun par l’effort central de sa sphère individuelle. Cette force de résistance s’affoiblit en s’éloignant de son principe, et devient nulle à la circonférence contre les efforts multipliés de la compression extérieure. C’est en limitant son être que l’on le possède tout entier ; l’extension n’est que misère et dépendance. On souffre, on s’épuise au loin ; l’on ne jouit, l’on ne vit véritablement qu’au centre. Mortel foible et si vainement avide, circonscris ton être, évite les maux, en restant dans les bornes de tes facultés et du bonheur. Jouis, il n’est pas d’autre sagesse ; fais jouir, il n’est pas d’autre vertu ; mais jouis avec choix, avec réserve ; sans cette prudence, il n’est pas de félicité réelle.

Partage tes plaisirs ; le méchant veut jouir seul, mais le méchant ne sait point jouir. La