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le vain édifice d’une institution locale et quelquefois inepte, fut vénéré comme la loi de la nature et trop souvent comme l’oracle d’un Dieu. Des mœurs sévères, des opinions comprimantes, l’estime des choses difficiles et la manie de la perfectibilité préparèrent pour la servitude politique des cœurs flétris par l’asservissement moral. Les sentimens heureux qui rapprochent les hommes sont devenus plus odieux que les passions haineuses qui les aliènent : on a même exaspéré ces levains de haine, une même erreur proscrit la jouissance, vante la folie des douleurs volontaires et sanctifie le double héroïsme des dévastateurs et des victimes. La démence morale poursuit avec autant d’acharnement la colombe innocente et la biche en pleurs, que le vorace vautour et le reptile qui répand le venin.

Ce n’est point la liberté de l’homme qu’il faut enchaîner ; par sa nature elle est déjà limitée. Ce n’est point un but général qu’il faut offrir à son. choix ; ce but existe, il le connoît, et sent assez que le principe de toute impulsion est l’amour de soi, le désir du bonheur. Pourquoi l’y mener par des moyens indirects et faux, et le tourmenter sur des voies difficiles pour lui faire manquer le terme