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daigne proscrire, un crime plus sinistre applaudit insolemment à leur sacrifice et les proclame heureux de ce qu’ils ont vécu.

Dès que l’on a opposé les devoirs aux désirs et les inclinations à la loi, il a fallu écarter en la déclarant impie la redoutable main de la raison. Pour dénaturer la volonté publique, il falloit un prodige de prudence dans les gouvernans ou de docilité dans les gouvernés, et l’on s’est assuré de celui-ci du moins, en mettant les tables de la loi dans la splendeur céleste du Sinaï, en faisant descendre le livre[1] sur les ailes de Gabriel et annoncer l’heureuse nouvelle[2] par l’esprit de feu ; mais un jour vient enfin où le peuple prosterné soupçonne que ces tables peuvent être brisées, il se lève et les brise ; que la nouvelle heureuse est une foible copie d’un rêve antique, il la dévoile et la juge ; que le livre est écrit de main d’homme, il l’examine et rit des divines inepties.

Que vous resterait-il alors, à vous qui n’avez bâti que sur l’erreur ? Il n’est d’empire durable que pour la beauté qui n’a pas besoin

  1. Al Coran le livre des préceptes ou El forcan, qui distingue le bien et le mal.
  2. Εὖ ἀγγέλλω. J’annonce bien.