Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 141 )

même erreur, et c’est sur un fondement si faux que l’on établit la morale des sociétés, et que l’on éternise les misères humaines.

On est ; surpris d’abord que la seule science, utile à l’homme, soit encore à naître, tandis qu’il a poussé tant d’autres connoissances inutiles ou funestes, et qui ne méritent que le nom d’arts, jusqu’à un point d’élévation ou de subtilité, d’industrie et d’érudition, qui sembloit inaccessible à nos cinq sens et à notre vie de moins d’un siècle. N’auroit-on pu s’attacher avant tout à distinguer les vrais besoins de l’homme, et à connoître la nature de ses affections y et jusqu’à quelle borne ses facultés extensives pouvoient ajouter à son bonheur ? Non, telle n’est point la marche sociale, et ce seroit encore une erreur que de s’en étonner. Ces recherches ne peuvent se faire que dans le silence des passions ; comment eussent-elles convenu à des générations nouvelles qui y précisément opposées à nous, avoient l’ame forte et l’esprit grossier ; qui agissoient et ne raisonnoient point ; et qui, sans expérience, et, dès-lors sans moyens de pressentir les résultats indirects, se devoient précipiter dans l’ordre de choses qu’ils entrevoyaient, avec cette avidité que donne à de jeunes