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éprouveras combien nos villes sont tristes et insuffisantes à ces besoins auxquels on n’a pas songé, parce qu’ils ne sont pas ceux de l’existence, mais ceux du bonheur[1]. C’est dans les lieux sauvages que le solitaire reçoit de l’inanimé même une facile énergie ; vois-le sur cette rive dans l’ombre des vallées. Assis sur le tronc mousseux du sapin renversé, il considère cette tige superbe que les ans ont nourrie, et que les ans ont stérilisée ; et ces plantes nombreuses étouffées sous sa vaste ruine, et la vaine puissance de ses branches ensevelies sous les eaux tranquilles qu’elles protégèrent trois siècles de leur orgueilleux ombrage. Il écoute le vent de la montagne qui descend s’engouffrer dans la forêt ténébreuse, et s’efforce par intervalle de l’agiter dans sa profondeur. Il suit dans sa chûte la feuille qui

    l’ennui lorsque la tête se repose avec les bras ; mais la nôtre, toujours agitée, nous fait éprouver, dans le repos de ce qui nous environne, un vide sinistre ou une résistance pénible, dès que nous cessons un mouvement corporel assez considérable pour forcer les organes de la pensée à se modifier selon les autres organes dans une harmonie qui fait le bonheur.

  1. Chose d’un ordre absolument secondaire, et auquel les politiques n’abaisseront point leurs grandes vues.