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la violette est chérie du sage ! elle semble partager le sentiment des hommes bons et toute la mélancolie des cœurs aimans ; elle est par-tout où peut jouir un homme sensible, elle embellit les asiles qu’il aime ; elle choisit les sites heureux ; elle fleurit dans les jours du sentiment, et fait leurs délices les plus indicibles. Elle s’épanouit aux beaux jours comme les cœurs simples ; comme eux, elle promet peu et donne beaucoup. Loin des lieux découverts, elle se plaît dans un asile commode et inconnu : elle ne se montre qu’à ceux qui la cherchent ; elle se cache même, mais on la devine au loin par le sentiment qu’elle exhale. Même dans le mois des frimats, la voici fleurie et odorante sous ces buissons épineux que l’hiver a flétri. Nulle main d’homme n’a marquée pour son séjour ce lieu si propre à son charme pastoral ; mais en suivant les pentes et les aspects favorables, elle s’est approchée et s’est étendue jusqu’ici : puis abandonnant les terres où l’on cherchoit à la retenir, elle semble n’avoir voulu se perpétuer que dans cette heureuse solitude. Nul site dans toute la contrée n’inspire un intérêt si durable que ce vallon ignoré dans le sein de la forêt. Sa prairie inclinée s’y creuse avec une grâce