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Mais il n’appartient qu’à l’homme vraiment détrompé, ou qui se sent fait pour l’être, de se rapprocher de la nature par la philosophie. Elle seroit pour le commun des hommes une voie nouvelle de préventions et d’égaremens ; rarement, à la vérité, plus dangereuse que les principes qu’elle détruit, elle est du moins souvent inutile. Si l’on s’arrête dans cette route du vrai ; si l’on veut ménager en soi-même certains préjugés, et conserver certaines passions ; ou si donnant la philosophie elle-même pour objet à ces passions et à ces préjugés, on se met à la vénérer avec une sorte d’enthousiasme[1] religieux qui empêche d’approfondir, et qui substitue bientôt aux préventions des hommes irréfléchis des préventions non moins illusoires, et au fanatisme vulgaire le fanatisme d’une fausse sagesse ; il arrivera enfin que, plus froids ou moins aveugles, on sera forcé de dire un jour avec décourage-

  1. Cette séduction réservée en quelque sorte aux grandes âmes, abusa la plupart des premiers génies de l’antiquité. Elle est généreuse et magnanime ; elle s’appuie sur de grands noms, et plus encore sur de grandes vertus ; mais nul prestige n’en doit imposer à qui cherche la seule vérité.