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cette multitude de maux que la crainte, l’espoir, le regret et toutes les erreurs d’une imagination trompée enfantent à chacune de nos heures. Cette inquiétude vague et indéterminée ; cette activité qui nous fatiguoit et qu’excitoit encore notre propre épuisement ; ce désir avide et passionné que la moindre séduction embrasoit, que nulle jouissance ne pouvoit éteindre, et qui sans autre besoin que de brûler toujours, dévoroit le cœur qui l’avoit conçu ; ce feu indompté se calme et se perd dans le sentiment profond de la vanité et de l’instabilité de toutes choses.

En commandant aux sensations, la philosophie n’apprend point à les détruire[1] ; mais elle donne le pouvoir de les choisir, et elle fournit pour ce choix les meilleures données possibles à une foible intelligence. En nous délivrant des alarmes de l’imaginaire, elle nous apprend à jouir de l’effectif ; en nous instruisant de ce qui convient à notre nature, elle nous prescrit de vouloir et d’agir : elle nous ramène au mouvement corporel et à l’énergie de la pensée ; elle substitue à la

  1. Elle prouve invinciblement la folie de ces fanatiques d’une fausse sagesse, qui, pour perfectionner leur être, s’efforcent d’annuller leur vie.