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Rien n’est beau hors de sa destination ; le bonheur de l’être actif n’est que dans son activité. Le travail corporel et l’élévation de la pensée, sont les seuls moyens réels de soutenir ou de rappeler l’énergie qui console, utilise et embellit la vie ; eux seuls sont sûrs, féconds, durables, eux seuls maintiennent la vraie santé, emploient et prolongent nos jours, conservent nos goûts, nos désirs, effacent nos regrets, et dissipent nos pensers amers ; ils rendent la vie heureuse même sans plaisirs ; ils font bien plus qu’eux, ils la font aimer.

Homme inconsidéré, tu t’es refusé à l’activité nécessaire ; homme abusé, tu as dédaigné le paisible sentiment du bien-être. Tes erreurs t’ont ravi les biens de la nature : alors des erreurs nouvelles t’ont montré le plaisir sur un terrain incertain, miné, d’où s’exhale le parfum séducteur d’un charme mortel ; égaré sur l’abîme, tu t’es précipité voluptueusement ; pour jouir, tu t’es détruit. Puissance désastreuse de l’humanité fléau d’elle-même ! fatalité terrible et profonde d’erreurs innombrables qui affligent, épuisent, mutilent, tourmentent et dévorent des millions de victimes, sans que l’imbécile postérité s’instruise à la lumière sinistre qui jaillit de cet univers sépulcral.