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le produisent pas ; l’ennui peut exister sans aucunes d’elles y et n’être pas là où elles sont réunies. L’ennui naît de l’opposition entre ce que l’on imagine et ce que l’on éprouve, entre la foiblesse de ce qui est, et l’étendue de ce que l’on veut ; il naît du vague des desirs et de l’indolence d’action ; de cet état de suspension et d’incertitude où cent affections combattues s’éteignent mutuellement ; où l’on ne sait plus que desirer, précisément parce que l’on a trop de desirs, ni que vouloir, parce que l’on voudroit tout ; où nulle chose ne paroît bonne, parce que l’on cherche une chose qui soit absolument bonne ; où la crainte d’un léger inconvénient dégoûte d’un grand avantage ; où rien ne plaît, parce que rien n’est sans mélange ; où le cœur ne peut plus trouver assez, parce que l’imagination a trop promis ; où l’on est rebuté de tous les biens, parce qu’ils ne sont pas extrêmes, et fatigué de la vie, parce qu’elle n’est pas nouvelle.

Puisque l’ennui naît de l’opposition entre la sphère illimitée, rapide ou riante, que nous imaginons, et la sphère étroite, lente ou triste, où nous nous trouvons circonscrits, il s’ensuit que l’ennui ne menace proprement que ceux dont l’idée, trop abandonnée à son