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enfin, réglementé par des pages précises de la Bible physiologique inculquée dès le sein maternel à toutes les femelles fécondables sur la terre et dans les enfers !

Ah ! si j’étais romancier, que la chose serait vite réglée ! Vite ! un 3,50 en 300 pages !

Même soir. — Mais je tiens à résoudre, même provisoirement, ce problème : — un Européen, et, précisons, un Français, nubile et normal, peut-il prétendre à la pleine possession d’une jeune Mandchoue, nubile également, puisque mariée officiellement, et décorer cette possession du nom d’ « amour » (sans préjuger des mauvais emplois supposables du mot).

— René, mon ami René, qu’est-ce que vous en pensez ? Un Européen nubile et normal peut-il aimer une Chinoise ? Exactement, une Mandchoue. Et surtout, peut-il en être « aimé » ?

J’interpelle ainsi, familièrement, le confident muet de toute cette histoire. Ce confident semble n’avoir rien compris. Il s’étire, il bâille, il bâille à la fois de la bouche et des yeux, puis les contracte, les ferme, se réveille enfin comme s’il sortait d’un autre rêve que du mien, et répond avec une négligence ennuyée :

— Je n’en sais rien.

Puis, sa voix change tout d’un coup. Il s’étire, se redresse, me regarde, avec un certain regard que j’ai appris à connaître. Et, lentement, profondément :