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éléments de sérieuse maçonnerie et non de littérature.

Or, voici ce qu’en a pu tirer le très subtil ouvrier d’art et orfèvre qu’est J.-K. Huysmans :

« Un chant lent, désolé, montait, le « De Profundis ». Des gerbes de voix filaient sous les voûtes, fusaient avec les sons presque verts des harmonicas, avec les timbres pointus des cristaux qu’on brise.

» Appuyées sur le grondement continu de l’orgue, étayées par des basses si creuses qu’elles semblaient comme descendues en elles-mêmes, comme souterraines, elles jaillissaient, scandant le verset.

» Et après une pause, l’orgue, assisté de deux contre-basses, mugissait, emportant dans son torrent toutes les voix, les barytons, les ténors et les basses, ne servant plus seulement alors de gaines aux lames aiguës des gosses, mais sonnant découvertes, donnant à pleines gorges, et l’élan des petits soprani les perçait quand même, les traversait, pareil à une flèche de cristal, d’un trait… Et soudain, à la fin du psaume, les voix enfantines se déchiraient en un cri douloureux de soie, en un sanglot affilé, tremblant sur le mot « eis » qui restait suspendu dans le vide…

» Ces voix claires et acérées mettaient, dans la ténèbre du chant, des blancheurs d’aube…[1]. »

Puis il poursuit, magnifiant le plain-chant dont l’accord mélodique avec l’architecture médiévale est si rigoureux, et qui, pour lui, parfois « se courbe ainsi que les sombres arceaux romans », parfois « surgit ténébreux et pensif, tels que les pleins-cintres,… le « De Profundis » par exemple « s’incurve semblable à ces grands arcs qui forment l’os-

  1. En Route. Stock, 1899, pp. 5-15.