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mosphère où ils placent leurs personnages dolents, l’appelle et l’exige. Alors le mot arrive, sans discord, exact et simple « Encéphaloïde lardacé du sein droit »[1], « steppage » de l’ataxique[2]. Cette mesure fut chez eux comme chez Flaubert acquise au prix de véridiques souffrances. Ils furent toujours les torturés du verbe et n’atteignirent cette admirable sobriété qu’à force d’énergie et de luttes.

Daudet, au contraire, y parvint en se jouant, et par une spirituelle intuition de la note juste : La consultation du Dr  Bouchereau (Les Rois en exil), le diagnostic chuchoté dans la scène finale de Jack, l’on perçoit en murmures « cavernes… râles sibilants… », surtout cette poignante Visite à la Salpêtrière que Charcot, pour la netteté du vocabulaire, aurait pu signer, tout cela est authentique, rigoureux et juste.

Avec Huysmans s’accentue et se perfectionne la langue médico-littéraire. Les termes spéciaux — parfois très finement spécieux — abondent dans son œuvre totale et donnent à son verbe une truculence et une saveur non pareilles.

Leur emploi systématique ressort chez lui, nous semble-t-il, de deux procédés. Ou bien il fait œuvre clinique, décrit un symptôme, les crises d’ataxie de « En Rade », le cortège neurasthénique de « À Rebours ». Et alors les mots vrais, descriptifs, se pressent ; à ce point qu’une première question s’impose : Huysmans a-t-il fait des études médicales ? « Jamais, nous a-t-il très bienveillamment affirmé lui-même, bien que toujours curieux des choses de la médecine et profondément attiré par l’intensité de leur notion ».

Ou bien il use des termes techniques comme d’un véritable procédé littéraire, dont voici, chez lui, le personnel mécanisme : dans sa jalousie de prodigieux orfèvre et ouvrier d’art, il horrifie par dessus tout la banalité du mot, expulse violemment de son répertoire les clichés ressassés, les figures redites, les termes éculés. Il s’adresse alors, pour y suppléer, aux comparai-

  1. Sœur Philomène.
  2. La Faustin.