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L’observation indirecte devient vite surabondante, confine parfois au fatras, déchoit jusqu’au degré infime de la vulgarisation scientifique, qui nous semble, en matière de science, l’exact répondant du feuilleton quotidien, pitance littéraire d’une importante partie de notre société.

L’usage dominant de l’une ou de l’autre méthode chez tel écrivain peut d’ailleurs s’évaluer en chiffres concrets. Sans donner aucune importance littéraire à cette statistique d’éditeur, rapprochons les quarante volumes qui enferment l’incessante et maintenant annuelle production de M. Zola, des huit volumes tassés et brefs auxquels se réduit l’œuvre totale de Flaubert et nous aurons cette première indication que l’observation directe, capitale pour Flaubert, n’eut qu’une part restreinte dans les incursions scientifiques de M. Zola[1].

C’est d’ailleurs son œuvre immense et touffue que nous prendrons comme type de cette troisième méthode d’investigation médicale. Mais nous devons auparavant signaler quelques autres exemples de son emploi.

Alexandre Dumas fils manifesta toujours des velléités scientifiques. Le Dr  Dumontpallier, qui resta longtemps son confident et son guide, a dit sa curiosité des nouvelles Idées. « Il m’avait beaucoup interrogé au moment où Brown-Séquard communiqua à l’Institut le résultat de sa dernière découverte, vous savez, son fameux élixir de Jouvence. C’était étrange, c’était nouveau… il n’en fallait pas davantage pour que mon Dumas fût empaumé, je devrais dire emballé, car il fut, dès le principe, un des plus fervents adeptes des nouvelles doctrines, un adepte, plutôt un

  1. Flaubert, dira-t-on, fut le premier à recourir à l’Érudition, autant qu’elle lui fut nécessaire : « Il lisait alors (1874) dit le docteur Michaut (in Chronique médicale, 1901, 1er  août, p. 487) l’Histoire de la médecine de Daremberg, la Création naturelle de Hæckel, le Manuel de Phrénologie de la collection Roret, des articles du dictionnaire Jaccoud, etc., sans doute conseillé dans ses lectures par le docteur Pouchet (de Rouen) ; Bouvard et Pécuchet lui demandait une documentation très variée, et il ne reculait, on le sait, devant aucune lecture, si technique fût-elle… » Mais les données que lui fournit ce genre de recherches ne furent jamais pour lui qu’un point de départ, et leur assimilation tellement parfaite qu’il est impossible de retrouver en son œuvre leurs traces textuelles. On ne pourrait en dire autant de M. Zola.