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porter sans crises de nerfs la clarté et le bruit… « est morte d’épuisement ».

Il est « le seul rejeton » de la famille.

Antécédents personnels : Il eut une enfance « funèbre », menacée de scrofules, accablée par d’opiniâtres fièvres. « Depuis son extrême jeunesse, il avait été torturé par d’inexplicables répulsions, par des frémissements qui lui glaçaient l’échine, lui contractaient les dents ; par exemple quand il voyait du linge mouillé qu’une bonne était en train de tordre ».

D’intelligence précoce et vive, il « s’abreuvait » déjà de solitude.

À la nubilité, « les nerfs prirent le dessus, matèrent les langueurs et les abandons de la chlorose ».

Il usa de l’opium et du haschich, « mais ces deux substances avaient amené des vomissements et des perturbations nerveuses intenses. Il avait dû tout aussitôt renoncer à les absorber ».

À la suite d’excès de tous genres « la nuque devenait déjà sensible et la main remuait, droite encore lorsqu’elle saisissait un objet lourd, capricante et penchée quand elle tenait quelque chose de léger, tel qu’un petit verre ».

Écœuré du contact de ses semblables, il décide de se blottir loin du monde, de se calfeutrer dans une retraite pour y vivre une existence factice.

Histoire de la maladie : Dans ces conditions, le surmenage par la sensation ne tarde pas à agir en exagérant la tendance morbide.

L’activité se transforme en rêverie. « Des Esseintes rêvassait… lancé à toutes brides sur une piste de souvenirs effacés.

» La solitude avait agi sur son cerveau, de même qu’un narcotique. Après l’avoir tout d’abord énervé et tendu, elle amenait une torpeur hantée de songeries vagues ; elle annihilait ses desseins, brisait ses volontés, guidait un défilé de rêves qu’il subissait passivement, sans même essayer de s’y soustraire ».

Après un repos de courte durée, la maladie reprend son cours, ramenant d’anciens accidents qu’une vie plus réglée, plus calme, avait lentement fait disparaître.

Pour conjurer le danger, il voulut sortir, se força à marcher, à prendre de l’exercice ; « mais le passage entre l’immobilité d’une vie