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L’intérêt de ces débuts universitaires est, d’ailleurs, surtout anecdotique. On peut être profond observateur et clinicien véridique sans être apanagé du moindre parchemin médical[1].

Jusqu’à présent, nous avons supposé les observateurs partant d’un diagnostic connu et consciemment choisi. Il existe un second mode d’observation objective, plus impersonnelle encore, et ainsi plus rigoureuse : C’est l’observation Ignorante[2], vierge d’étiquette nosologique, l’exposé du symptôme pour lui-même, et non plus en raison d’un diagnostic initial qu’il s’agirait de fortifier. Trousseau en exprima l’intérêt, même au point de vue médical pur, dans les pages savoureuses qui ouvrent le recueil de ses magistrales cliniques : « Que les nosologies soient utiles à celui qui commence l’étude de la médecine, j’y consens au même titre qu’une clef analytique est assez bonne, au même titre que le système si faux de Linné peut être fort utile à celui qui essaie l’étude de la botanique ; mais, Messieurs, si vous connaissez assez pour pouvoir reconnaître, permettez-moi cette espèce de jeu de mots, hâtez-vous d’oublier la nosologie, restez au lit du malade, cherchant sa maladie comme le naturaliste étudie la plante en elle-même dans tous ses éléments.

» À mesure que les faits se dérouleront devant vos yeux ; à mesure que vous aurez examiné et que vous serez aptes à comparer, hâtez-vous de vous débarrasser des entraves scolastiques. Vous arriverez, par cette gymnastique intellectuelle, à donner

  1. Si, des écrivains, des artistes proprement dits, nous passons aux professionnels du théâtre, nous accorderons dix-huit mois de service hospitalier à l’un de nos meilleurs « metteurs en scène » actuels, M. Victorien Sardou. « Je disséquais consciencieusement mes semblables à Clamart (lit-on dans la Chronique médicale du 15 mars 1895) et tous les matins, externe bénévole à l’hôpital Necker dans un service de clinique, je faisais sans dégoût les pansements requis, et j’assistais curieusement à toutes les opérations ».
  2. Nous écartons à dessein le terme d’observation « inconsciente » pour éviter toute confusion, même de désinence, avec l’observation dite « subconsciente » très complètement étudiée dans la thèse du Dr Chabaneix : Influence du subconscient dans les œuvres de l’esprit, Bordeaux, 1897.