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réalisme, s’accordent le plus joliment du monde avec un très avéré désir de publicité, de succès. Son exactitude est minutieuse, ses tableaux cliniques ne seraient pas déplacés au concours d’internat… on doit lui savoir gré de la surabondance même de ses données techniques, en pensant que leur recherche faillit un jour lui coûter la vie. Elles n’ont, d’ailleurs, pas d’autre intérêt. Il rêvait alors à son roman Un beau-frère, portant tout entier sur les fous, la folie, les maisons d’aliénés ; et dans son zèle il avait prié des confrères de la presse de lui envoyer tous les détraqués dont ils pourraient avoir connaissance « et Dieu sait ce qu’il s’en présenta : des inventeurs méconnus, des persécutés, des ratés ; les uns doux, les autres plus ou moins violents. Un de ceux-là voulut un jour me faire passer par la fenêtre : j’en eus assez et j’engageai les camarades à ne plus m’en adresser »[1]. Dorénavant il ne fréquenta ces dangereux sujets qu’à Charenton ou lieux similaires et jamais plus en pleine liberté.

L’observation sur le vif suppose donc parfois certaines précautions et un préalable entraînement. Or, cette assuétude, plusieurs des plus aigus critiques et « voyants » la doivent à des études médicales techniques et universitaires. Parfois ébauchées à peine, elles restent suffisantes pour donner à un cerveau prédestiné l’initiale impulsion, l’esprit d’analyse et de dissection psychologique. Parfois elles sont complètes et diplômées. Flaubert avait trouvé, dans sa famille même et mêlées à ses souvenirs d’enfant, de sérieuses leçons anatomiques : son père, ancien prosecteur à l’hospice de Rouen, habitait un logement enclavé dans l’Hôtel-Dieu et s’était installé un véritable laboratoire où, quotidiennement, il professait en famille. Gustave Flaubert, son frère aîné revenu docteur à Rouen, Bouilhet qui com-

  1. Chronique médicale, 15 octobre 1896.