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forcer à me répondre, anxieux de l’entendre parler. Hélas ! comme dans sa première crise, il ne put que proférer des sons qui n’étaient plus des paroles. Fou d’inquiétude, je lui demandai s’il ne me reconnaissait pas. À cela, il me répondit par un gros rire railleur qui semblait me dire : « Est-ce assez bête à toi, de croire ça possible !… » Suivit bientôt un instant de calme, de tranquillité, ses regards doux, souriants, fixés sur moi. Je crus à une crise semblable au mois de mai. Mais tout à coup, il se renversa la tête en arrière, et poussa un cri rauque, guttural, effrayant, qui me fit fermer la fenêtre ».

Aussitôt, sur son joli visage, apparurent des convulsions qui le bouleversèrent, déformant toutes les formes, changeant toutes les places, comme si elles voulaient les retourner, pendant que sa bouche tordue crachotait une écume sanguinolente.

Nuit de samedi 18 juin à dimanche : « Il est deux heures du matin. Me voici relevé et remplaçant Pélagie près du lit de mon pauvre et cher frère qui n’a pas repris la parole, qui n’a pas repris connaissance depuis jeudi à deux heures de l’après-midi ».

Période agonique : Continuation de la nuit de samedi à dimanche, quatre heures du matin : « La mort s’approche, je la sens à sa respiration précipitée, à l’agitation qui succède au calme relatif de la journée d’hier, je la sens à ce qu’elle met sur sa figure. Sur le blanc de l’oreiller, sa pauvre tête est renversée, avec l’ombre portée de son profil amaigri et de sa longue moustache projetée par les lueurs d’une bougie mourante, luttant avec le jour.

» Ce jour levant, ce vert de l’arbre jaillissant de l’ombre, cet éveil du ciel et des oiseaux avec leurs notes bienheureuses, tombant dans une agonie, dans une fin de jeune existence, c’est bien horrible !…

» Le jour arrive à cette heure sur sa figure, dessine les creux et les ombres des yeux et de la bouche, le décharnement presque instantané, me montrant, dans sa chair aimée, la sculpture de la mort…

» 10 heures du matin : Toutes les secondes, je les compte par ces douloureuses aspirations d’une respiration brève, haletante…

» 4 heures de l’après-midi : Tant de souffrances pour mourir ! De si déchirants efforts pour avaler de petits morceaux de glace pas plus gros que des têtes d’épingle. Une respiration ronflante comme