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frères de Goncourt, qui, à plusieurs reprises, en revendiquèrent la paternité.

« Je veux faire, affirme Ed. de Goncourt, un roman bâti sur documents humains » ; et, en note, « cette expression, très blaguée dans le moment, j’en réclame la paternité, la regardant, cette expression, comme la formule définissant le mieux et le plus significativement le mode nouveau de travail de l’école qui a succédé au romantisme : l’école du « document humain »[1].

Ce désir du vrai avait déjà hanté Balzac. Mais son œuvre, désuète de l’aveu même de Flaubert, reste éparpillée et bien peu documentaire.

Plus efficace et immédiate fut l’influence de Taine. Elle demeure initiatrice du mouvement réaliste : « De tout petits faits bien choisis, importants, significatifs, amplement circonstanciés et minutieusement notés, voilà aujourd’hui la matière de toute science ». Ce n’était plus tendance imprécise mais un programme complet qu’agitaient ces trois lignes[2]. Il venait merveilleusement à son heure. On sait quel en fut l’incroyable fécondité, et comment, à l’appel de Taine se noircirent furieusement les carnets de notes de nos romanciers, et comment s’organisa cette chasse folle aux « petits faits » dont il avait le premier lucidement indiqué la piste.

Parmi le nombre infini de « documents humains » offerts par la nature à leurs investigations, les naturalistes[3] s’aperçurent bientôt que tous n’avaient pas une égale signification ni valeur expressive ; qu’il en existait une catégorie particulièrement féconde, les documents pathologiques, et s’y complurent. Volontiers, ils étendirent leurs relations dans le monde médical ; l’hôpital devint un de leurs champs favoris d’enquête, et leur bibliothèque s’ouvrit toute grande aux traités cliniques les plus rébarbatifs.

Tout cela est encore histoire des lettres, et le serait stricte-

  1. Ed. de Goncourt, préface de La Faustin, Charpentier, 1882, p. 2.
  2. Taine, préface de l’Intelligence, I (Hachette, édit.).
  3. Toujours inspirés de Taine.