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Jeune, on est tendre, et quand vient la vieillesse,
Afin d’aimer, on aime encore son chat.
Des chats pourtant le naturel est traître ;
Ils trompent qui sait les chérir,
C’est pour cela qu’on les aime peut-être,
Des amants c’est un souvenir.
II.
Las ! pauvres femmes que nous sommes,
Toujours victim’s de nos attachements,
Nous écoutons les fleurettes des hommes
Qui dans un jour font mille autres serment.
Comm’ces messieurs, les chats par la fenêtre
Se sauv’nt pour ne plus revenir,
C’est pour cela qu’on les aime peut-être.
Des amants c’est un souvenir ;
Oui, pour cela, nous les aimons peut-être ;
Des amants c’est un souvenir.

(On entend en dehors.) Marianne ! Marianne !

Ah ! mon Dieu ! c’est notre maître !… ne lui parlons pas de l’idée de vendre Minette ; car il l’aime tant, qu’il se laisserait plutôt mourir de faim.

GUIDO, en dehors.

Marianne ! Marianne !

MARIANNE, va ouvrir.

Voilà… voilà…


Scène II.

MARIANNE, GUIDO.
GUIDO.

C’est heureux !… j’ai cru que vous aussi, Marianne, vous alliez me laisser à la porte.

MARIANNE.

C’est que j’avais peur de réveiller Minette.

GUIDO, d’un air sombre.

Pauvre petite !… elle dort ?… elle fait bien !… et moi aussi, je voudrais dormir… dormir toujours !… d’abord, qui dort dîne… c’est une économie ; et puis on a un autre plaisir plus vif encore s’il est possible…

MARIANNE.

Et lequel ?

GUIDO.

C’est de ne plus voir les hommes !… et dans mon état de misanthrope, Marianne, je ne peux plus les envisager.

MARIANNE.

Est-il possible !… Vous n’avez donc rien obtenu des débiteurs de votre père ?

GUIDO.

Ah ! bien oui… Si tu avais vu les mines allongées qu’ils m’ont faites !… L’un ne me reconnaissait pas !… L’autre avait fait de mauvaises affaires !… puis ils disparaissaient… impossible de les rejoindre… car, depuis qu’ils ont eu des malheurs, tous mes débiteurs ont voiture ! et moi, je suis à pied !

MARIANNE.

Mais pourquoi avoir refusé d’écrire à votre oncle, qui habitait cette ville et qui était si riche ?

GUIDO, vivement.

Mon oncle, Marianne… Je vous ai défendu de prononcer son nom devant moi !… C’est lui… c’est cet honnête négociant qui a ruiné mon père avec ses comptes… à parties doubles… D’ailleurs, il aurait eu de la peine à me répondre… puisqu’il est mort…

MARIANNE.

Il fallait s’adresser à son intendant, monsieur Schalgg.

GUIDO.

Cet astucieux personnage !… qui, quand j’étais petit… s’amusait toujours à mes dépens ?… M’a-t-il attrapé de fois, celui-là !… mais il ne m’y reprendra plus.

MARIANNE.

Mais au moins, votre jeune cousine, avec laquelle autrefois vous avez été élevé, et qui est, dit-on, si espiègle, si maligne, et pourtant si bonne ?… elle voulait réparer les torts de son père… elle vous avait fait proposer sa main… elle a tout tenté pour vous voir… vous avez toujours refusé.

GUIDO.

Et je refuserai toujours.

MARIANNE.

Et pourquoi, je vous le demande ?

GUIDO.

Pour deux raisons… la première, je te l’ai déjà dite, parce que je suis misanthrope ; et la seconde…

MARIANNE.

Eh bien ?

GUIDO.

Je ne te la dirai pas.

MARIANNE.

Alors, c’est comme si vous n’en aviez qu’une.

GUIDO.

Ma seconde raison… et c’est la plus forte… c’est que j’ai une passion dans le cœur.

MARIANNE.

Et pour qui, grand Dieu ? Pour quelque jeune demoiselle ?…

GUIDO, d’un air sombre.

Non.

MARIANNE.

Pour quelque veuve ?

GUIDO.

Non.

MARIANNE.

Ô ciel ! c’est pour quelque femme mariée ?…

GUIDO, avec effort.

Non… mais tu ne le sauras jamais, ni toi