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MINETTE.

Comment ! monsieur, vous en doutez ? C’est affreux ! Car enfin, lorsque je pense aux caresses que je vous prodiguais autrefois, j’en rougis. C’était d’instinct ; mais cet instinct, je le sens bien, a aussi subi sa métamorphose… et maintenant c’est de l’amour.

GUIDO, à part.

Dieu ! si je me croyais… après un pareil aveu… (Se reprenant froidement.) Permettez, Minette, je veux croire que vous m’aimez, j’ai besoin de le croire ! Mais ce n’est pas tout ; je pouvais passer à ma chatte bien des choses que je ne passerai pas à ma femme, et, si, avec cette figure charmante, vous aviez conservé les goûts et les penchants de votre ancien état… j’ai déjà remarqué tout à l’heure un certain décousu dans vos manières…

MINETTE, pleurant.

Il n’est pas encore content !… Eh bien, je te promets de veiller sur moi… de vaincre le naturel qui te déplaît.

GUIDO, à ses genoux.

Et moi… je te promets, en revanche, de n’aimer que toi, de n’avoir désormais d’autre volonté que la tienne… et…

MINETTE, l’oreille au guet.

Chut !

GUIDO.

Hein ?

MINETTE.

N’entends-tu pas du bruit ?

GUIDO, continuant.

Qu’est-ce que ça fait ? Songe donc, quel bonheur d’être sans cesse occupés l’un de l’autre !…

MINETTE, écoutant.

C’en est une !…

GUIDO, de même.

Et, quand je te peindrai mon amour, mon émotion, quel plaisir de t’entendre me dire…

MINETTE, s’avançant doucement.

Tais-toi !… tais-toi…

GUIDO.

Eh bien, où vas-tu donc ?

MINETTE.

Bien sûr, c’en est une ! Entends-tu ?

GUIDO.

Comment ! c’en est une ? (Minette s’avance à pas comptés vers l’armoire à gauche, puis s’élance tout à coup comme un chat.) Qu’est-ce que c’est ? Minette, voulez-vous bien finir ?

MINETTE.

Là, c’est toi qui lui as fait peur !… elle s’enfuit… C’est insupportable !… c’est si gentil !

GUIDO.

Il n’y a pas moyen, avec elle ; d’être en tête à tête… On se croit seuls, et il y a là… du monde dans les armoires. (Haut.) Minette ! Minette ! ici tout de suite !

MINETTE, se révoltant et se sauvant de côté.

Je ne veux pas !

GUIDO.

Qu’entends-je ?… Je ne veux pas ! Hier, Minette… vous étiez soumise, obéissante… vous n’aviez pas de volonté…

MINETTE.

Oui… mais aujourd’hui je suis femme.

GUIDO.

Eh bien ! c’est là que je vous prends… si vous êtes femme, raison de plus pour ne plus avoir de pareilles distractions !… On ne court pas ainsi après… les gens !… ça n’est pas convenable !… Avec des manières comme celles-là, Minette, je ne pourrai jamais vous présenter dans la société… et quand je sortirai, je serai obligé de vous laisser ici en pénitence.

MINETTE.

Eh bien ! par exemple ! le beau plaisir d’être femme, pour être en esclavage !… J’aurais donc perdu au change ! car autrefois j’étais libre, j’étais ma maîtresse… je pouvais sortir et rentrer sans permission, et j’entends bien qu’il en soit toujours ainsi.

GUIDO

Et que deviendrait ma dignité de maître ?

MINETTE.

Elle deviendra ce qu’elle pourra… je défendrai mes droits, et, pour commencer, je vous déclare, monsieur, que je veux sortir à l’instant même.

GUIDO, vivement.

Et moi, je ne le veux pas… qu’est-ce que c’est donc que ces idées de rébellion !

(Il la fait passer à droite.)

DUETTO.
MINETTE.
Je sortirai.
GUIDO.
Je sortirai. Non, non, non, non.
Vous resterez.
MINETTE.
Vous resterez. Non, non, non, non !
GUIDO.
Je tiendrai bon.
MINETTE.
Je tiendrai bon. Non, non, non.
GUIDO.
C’est moi qui suis le maître.

(Il va fermer la porte.)

La porte est close.
MINETTE.
La porte est close. Bon !
Nous avons la fenêtre
Et j’y suis d’un seul bond.

(Elle s’élance du lit à la fenêtre.)