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LE NAIN NOIR

— Êtes-vous fou, monsieur Mareschal ? lui dit Ellieslaw, croyez-vous que j’amènerais ma fille à l’autel contre son gré ?

— Allons donc, regardez-la ; ses yeux sont rouges, ses joues plus blanches que sa robe ! Au nom de l’humanité, j’insiste pour que la cérémonie soit remise à demain.

— Il faut donc, jeune écervelé, que vous vous mêliez toujours de ce que ne vous concerne en rien ? dit Ellieslaw en colère. Au surplus, elle va nous dire elle-même qu’elle désire que la cérémonie ait lieu sur-le-champ. — Parlez, ma chère enfant, le voulez-vous ainsi ?

OUI, dit Isabelle ayant à peine la force de parler, puisque je ne puis attendre de secours ni de Dieu ni des hommes.

Elle ne prononça distinctement que le premier mot, et personne ne put entendre les autres. Mareschal leva les épaules, et se détourna d’un autre côté en maudissant les caprices des femmes. Ellieslaw conduisit sa fille devant l’autel ; sir Frédéric vint se placer auprès d’elle. Alors le docteur ouvrit son livre, et regarda Ellieslaw comme pour lui dire qu’il attendait ses ordres.

— Commencez, dit Ellieslaw.

Tout à coup une voix aigre et forte, qui semblait sortir du tombeau de la mère d’Isabelle, et qui retentit sous les voûtes de la chapelle, s’écria : Arrêtez. — Chacun resta muet, immobile, et au même instant un bruit éloigné, semblable à un cliquetis d’armes, se fit entendre dans les appartements du château. Il ne dura qu’une minute ou deux.

— Que signifie tout ceci ? dit sir Frédéric en regardant Mareschal et Ellieslaw d’un air qui annonçait la méfiance et le soupçon.

— Quelque dispute parmi nos convives, répondit Ellieslaw affectant une tranquillité qu’il était loin d’avoir. Continuez, docteur.

Mais avant que le docteur pût lui obéir, la même voix prononça une seconde fois, et plus fortement encore, le mot : Arrêtez ! et le Nain, sortant de derrière le monument, se plaça en face de M. Ellieslaw. Cette apparition subite effraya tous les spectateurs, mais elle parut anéantir le père d’Isabelle.

— Que veut cet homme ? dit sir Frédéric ; qui est-il ?

— Quelqu’un qui vient vous annoncer, repartit le Nain avec le ton d’aigreur qui lui était ordinaire, qu’en épousant miss Isabelle Vere vous n’épousez pas l’héritière des biens de sa mère, parce que j’en suis seul propriétaire. Elle ne les obtiendra qu’en se mariant avec mon consentement ; et ce consentement, jamais il ne sera donné pour vous. À genoux, misérable, à genoux ; remercie le ciel, remercie-moi, moi qui viens te préserver du malheur d’épouser la jeunesse, la beauté, la vertu sans fortune. — Et toi, vil ingrat,