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LE NAIN NOIR

basse à son cousin, et vous l’avez fait devant témoins. Au surplus, il était trop tard pour renoncer à notre entreprise. Un seul homme a refusé le toast, ajouta-t-il en jetant les yeux sur Ratcliffe, mais nous en parlerons dans un autre moment.

Alors, se levant à son tour, il prononça un discours plein d’invectives contre le gouvernement. En faisant vibrer cette corde, il était sûr de toucher le cœur de tous ceux qui l’écoutaient.

— Nous sommes donc tous d’accord que cet état de choses ne peut se supporter plus longtemps ? demanda Ellieslaw.

— Tous…, sans exception…, jusqu’au dernier !… tel fut le cri général.

— Pas tout à fait, Messieurs, dit M. Ratcliffe qui n’avait pas ouvert la bouche depuis le commencement du dîner. Je ne prétends pas vouloir calmer les violents transports qui viennent de s’emparer de vous si subitement ; mais autant que peut valoir l’opinion d’un seul homme, je dois vous déclarer que je n’adopte pas tout à fait les principes que vous venez de manifester ; je proteste donc formellement contre les mesures insensées que vous paraissez disposés à prendre pour faire cesser des sujets de plainte dont la justice ne me paraît pas encore bien démontrée. Je suis très porté à attribuer à la chaleur du festin, tout ce qui vient de se passer ; mais il faut songer que certaines plaisanteries peuvent devenir dangereuses quand elles transpirent, et que souvent les murs ont des oreilles.

— Les murs peuvent avoir des oreilles, monsieur Ratcliffe, s’écria Ellieslaw en lançant sur lui un regard de fureur, mais un espion domestique n’en aura bientôt plus, s’il ose rester plus longtemps dans une maison où son arrivée fut une insulte, où sa conduite a toujours été celle d’un homme présomptueux qui se mêle de donner des avis qu’on ne lui demande pas, et d’où il sera chassé comme un misérable, s’il ne se rend justice en sortant sur-le-champ.

— Je sais parfaitement, Monsieur, répondit Ratcliffe avec un sang-froid méprisant, que la démarche inconsidérée que vous allez faire vous rend ma présence inutile, et que désormais mon séjour ici serait aussi dangereux pour moi que désagréable pour vous ; mais en me menaçant vous avez oublié votre prudence ; car bien certainement vous ne seriez pas charmé que je fisse à ces messieurs, à des hommes d’honneur, le détail des causes qui ont amené notre liaison. Au surplus, j’en vois la fin avec plaisir. Cependant, comme je crois que M. Mareschal et quelques autres personnes de la compagnie voudront bien me garantir pour cette nuit mes oreilles et surtout mon cou, pour lequel j’ai quelques raisons de craindre davantage, je ne quitterai votre château que demain matin.