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LE NAIN NOIR.

affaires duquel il prit une influence aussi certaine qu’elle paraissait incompréhensible. C’était un homme d’une soixantaine d’années, d’un caractère sérieux et réservé. Tous ceux avec qui il avait occasion de s’entretenir d’affaires rendaient justice à l’étendue de ses connaissances ; et si en toute autre occasion il parlait peu, ce n’était jamais sans montrer un esprit actif et cultivé. Avant de devenir habitant du château, il y faisait des apparitions assez fréquentes ; et M. Vere, qui recevait avec hauteur et dédain les gens qu’il regardait comme ses inférieurs, ne cessait de lui témoigner les plus grands égards. C’était lui qui réglait ses affaires les plus importantes. M. Vere ne ressemblait pas à ces hommes riches qui, trop indolents pour s’occuper de leurs intérêts, se déchargent volontiers de ce soin sur un autre ; et pourtant on le voyait, en beaucoup d’occasions, renoncer à son opinion pour adopter celle de M. Ratcliffe.

Rien ne mortifiait plus M. Ellieslaw que quand des étrangers s’apercevaient de l’espèce d’empire que cet homme exerçait sur lui.

Tel était le personnage à qui M. Vere racontait les détails de l’enlèvement d’Isabelle, et qui l’écoutait d’un air de surprise mêlée d’incrédulité.

— Maintenant, mes amis, dit M. Ellieslaw, comme pour conclure, à sir Frédéric et aux autres personnes présentes, donnez vos avis au plus malheureux des pères : que dois-je faire ? quel parti prendre ?

— Monter à cheval, prendre les armes, et poursuivre les ravisseurs, s’écria sir Frédéric. Partons sans perdre une minute.

— N’existe-t-il personne que vous puissiez soupçonner de ce crime ? demanda froidement Ratcliffe. Nous ne sommes plus dans le siècle où l’on enlevait les dames uniquement pour leur beauté.

— Je crains, répondit Ellieslaw, de ne savoir que trop qui je dois accuser de cet attentat. Lisez cette lettre que miss Ilderton avait jugé convenable d’écrire chez moi à un jeune homme des environs, nommé Earnscliff, celui de tous les hommes que j’ai le plus de droit d’appeler mon ennemi héréditaire. Vous voyez qu’elle lui écrit comme confidente de la passion qu’il a osé concevoir pour ma fille, et qu’elle lui dit qu’elle plaide sa cause avec chaleur auprès de son amie.

— Et c’est d’après une lettre écrite par une jeune fille romanesque, que vous concluez que M. Earnscliff a enlevé votre fille et s’est porté à un acte de violence si criminel ?

— Qui voulez-vous que j’en accuse ?

— Qui pouvez-vous en soupçonner ? s’écria sir Frédéric. Qui peut avoir eu un motif pour commettre un tel crime, si ce n’est lui ?