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LE NAIN NOIR.

parfaitement, répondit-il avec un sourire amer. Vous qui êtes une jeune fille savante, vous devez savoir que les Romains ne se contentaient pas d’adorer leurs divinités sous un seul nom, mais qu’ils leur élevaient autant de temples qu’ils leur supposaient d’attributs différents. Eh bien, l’amitié à laquelle j’élèverais ici un temple ne serait pas l’amitié des hommes, qui repousse la duplicité, l’artifice, toute espèce de déguisement ; ce serait l’amitié des femmes, qui ne consiste que dans la secrète intelligence de deux amies, pour s’aider mutuellement dans leurs petits complots.

— Vous êtes bien sévère, mon père.

— Je ne suis que juste, et j’ai l’avantage d’avoir sous les yeux d’excellents modèles en Lucy Ilderton et vous.

— Si j’ai été assez malheureuse pour vous offenser, mon père, vous ne devez pas en accuser ma cousine, car certainement elle ne fut ni ma conseillère ni ma confidente.

— En vérité ? Et qui donc a pu vous inspirer, il y a deux jours, la force et la hardiesse de parler à sir Frédéric avec un ton d’aigreur.

— Si ce que je lui ai dit vous a déplu, mon père, j’en ai un sincère regret ; mais je ne puis me repentir d’avoir parlé à sir Frédéric comme je l’ai fait. S’il oubliait que je suis votre fille, il devait au moins se souvenir que je suis une femme.

— Réservez vos remarques pour une autre occasion, je suis si las de ce sujet, que voici la dernière fois que je vous en parlerai.

— Que de grâces j’ai à vous rendre, mon père ! Délivrez-moi de la persécution de cet homme, et il n’est rien que vous ne puissiez m’ordonner.

— Vous êtes fort soumise quand cela vous convient, je m’épargnerai à l’avenir de vous donner des avis qui vous déplaisent.

En ce moment, quatre brigands les attaquèrent : Ellieslaw tira son épée, et se défendit contre un des assaillants ; le second se jeta sur le domestique. Les deux autres, s’étant emparés d’Isabelle, l’entraînèrent au fond du bois, où ils avaient préparé trois chevaux sur l’un desquels ils la placèrent, et ils la conduisirent à la tour de Westburnflat. La mère du bandit, à la garde de qui elle fut confiée alors, l’enferma dans une chambre située au dernier étage.

L’arrivée d’Earnscliff avec une troupe nombreuse alarma le brigand. Comme il avait donné ordre de remettre Grace en liberté, et qu’il croyait que déjà elle devait être rendue à ses parents, il ne crut pas qu’elle fût l’objet de cette visite désagréable. Ayant reconnu Earnscliff, et instruit des sentiments qu’il nourrissait pour Isabelle, il ne douta pas qu’il ne vînt pour la délivrer, et la crainte