Page:Scott - Nain noir. Les puritains d'Ecosse, trad. Defauconpret, Garnier, 1933.djvu/352

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
328
LES PURITAINS D’ÉCOSSE

remplies. Dans les travaux, de même que dans les plaisirs de la vie, les hommes se succèdent comme les feuilles des arbres.

Connaissant par expérience la meilleure manière d’obtenir des égards dans une auberge, ii demanda une pinte de vin de Bordeaux, que l’hôte lui apporta fraîchement tiré et moussant encore dans la mesure, car, à cette époque, on n’était pas encore dans l’usage de mettre le vin en bouteilles. Morton avait ses vues, il invita Niel à s’asseoir et à en prendre sa part ; Niel, habitué à recevoir de pareilles invitations de ceux qui n’avaient pas de meilleure compagnie, accepta sans façon.

Tout en vidant la pinte, dont Morton eut soin de lui faire boire la plus grande partie, Niel jasa des nouvelles du pays, des naissances, des mariages, des morts, des mutations de propriété, de la ruine d’anciennes familles, et de la fortune faite par quelques parvenus ; mais il ne souffla mot sur les affaires politiques, ce ne fut que d’après une question de Morton qu’il dit d’un air d’indifférence : — Oh ! oui, nous avons toujours des soldats dans le pays, plus ou moins : il y a une troupe de cavalerie à Glascow ; leur commandant s’appelle, je crois, Wittybody. C’est un Hollandais ; je n’ai jamais vu figure si grave et si flegmatique.

— Vous voulez dire Wittenbold, repartit Morton : n’est-ce pas un vieillard à cheveux gris, qui parle fort peu ?…

— Et qui fume toujours. Je vois que vous le connaissez. Ce peut être un brave homme pour un soldat et un Hollandais ; mais fût-il dix fois plus général et Wittybody, il n’entend rien à la cornemuse, et il me fit interrompre un jour au milieu de l’air de Torpichan, le plus bel air de cornemuse qu’on ait jamais entendu.

— Les militaires que je vois ici appartiennent-ils à son régiment ?

— Ce sont d’anciens dragons écossais, ils ont servi sous Claverhouse.

— Ne dit-on pas qu’il a été tué ?

— Le bruit en court, mais j’en doute encore. Quant à ces dragons, s’il paraissait ici, ils se rangeraient sous ses drapeaux aussi vite que je vais boire ce verre de vin. Au fait, ils sont aujourd’hui les soldats du roi Guillaume ; mais il n’y a pas longtemps qu’ils étaient ceux du roi Jacques. La raison en est toute simple. Pour qui se battent-ils ? pour celui qui les paie : ils n’ont ni terres ni maisons à défendre. Cependant il résulte toujours une bonne chose de la révolution ; c’est que chacun peut dire librement son avis sans crainte d’aller coucher en prison et d’être pendu.

Morton, voyant qu’il avait fait quelque progrès dans la confiance de l’hôte, après avoir hésité un instant, comme le fait naturellement