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LES PURITAINS D’ÉCOSSE

lui devait personnellement, car il était persuadé, et avec raison, que c’était à son influence sur Claverhouse qu’il avait dû la vie après la bataille du pont de Bothwell : tous ces motifs firent taire son amour. Il lui en coûta de sacrifier ainsi les plus doux sentiments de son cœur. — Non, Edith, pensa-t-il, jamais je ne troublerai la paix de ton âme ! Que la volonté du ciel s’accomplisse ! — J’étais mort pour elle, quand elle a promis de devenir l’épouse de lord Evandale ; jamais elle ne saura que Henry Morton respire encore.

Au moment même où il formait cette résolution, il se méfia de ses forces, et, craignant de ne pouvoir la garder s’il écoutait longtemps le son de la voix d’Edith, il sortit par la fenêtre qui donnait sur le jardin, et quand le cri que poussa Edith lui fit soupçonner qu’elle l’avait vu, il s’enfuit comme s’il eût été poursuivi, passa près d’Holliday courut à l’étable, monta à cheval, et prit le premier sentier qui se présenta devant lui.

— Ce fut là ce qui empêcha lord Evandale de savoir si Morton existait réellement. La nouvelle de la victoire remportée par les montagnards sur les troupes du roi Guillaume à Killiecrankie avait fait craindre que les jacobites du bas pays ne fissent quelque mouvement ; on avait donc établi en ces deux endroits, des postes où l’on examinait avec attention tous les voyageurs. Ce fut en vain que lord Evandale y fît prendre des informations ; aucun inconnu n’y avait passé dans la matinée. Il fut donc réduit à croire qu’Edith avait pris pour la réalité un fantôme.

Cependant Morton, qui avait mis son cheval au grand galop, arriva en quelques minutes sur les bords de la Clyde, vis-à-vis un endroit qui servait d’abreuvoir, comme l’annonçaient des traces récentes. Son cheval, qu’excitaient les coups d’éperon répétés, y entra sans hésitation, et se trouva bientôt à la nage, ce dont Henry ne s’aperçut que par le froid qu’il ressentit quand l’eau lui monta jusqu’à mi-corps. Rappelé à lui-même, il vit la nécessité de songer aux moyens de sauver sa vie et celle de sa monture, car la rivière était très rapide ; du reste, habile dans tous les exercices, il savait diriger un coursier dans l’eau tout aussi bien que sur une esplanade. Faisant suivre au sien le courant, afin de ne pas épuiser ses forces, il gagna peu à peu la rive opposée ; mais le point où il aborda était si escarpé, qu’il lui fut impossible de prendre terre ; il fallut se résoudre à descendre encore le fil de l’eau ; puis enfin, au bout de quelques minutes, il se trouva à pied sec.

— Où irai-je maintenant ? dit Morton ? Ah ! si je pouvais le désirer sans crime, je voudrais que ces eaux m’eussent englouti !

À peine cette réflexion s’était-elle présentée à son esprit, qu’il en fut honteux ; il se rappela de quelle manière presque miraculeuse