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LE NAIN NOIR

— La nuit comme le jour, répliqua le Nain, elle exerce sur toi un empire absolu.

— Que le ciel me protège ! dit la jeune dame, c’est un sorcier.

— Aussi certainement que vous êtes une femme. Vous voulez que je vous prédise votre destinée. Vous passerez votre vie à courir après des folies. Au passé, des poupées et des jouets ; au présent, l’amour et toutes ses sottises ; dans l’avenir, le jeu, l’ambition et les béquilles. Des fleurs dans le printemps, des papillons dans l’été, des feuilles fanées dans l’automne et dans l’hiver.

— Eh bien, si j’attrape les papillons, c’est toujours quelque chose. Et vous, Nancy, ne voulez-vous pas vous faire dire votre bonne aventure ?

— Pas pour un empire, répondit Nancy.

— Eh bien, reprit miss Ilderton en se tournant vers le Nain, je veux vous payer comme si vous étiez un oracle et moi une princesse.

En même temps elle lui présenta quelques pièces d’argent.

— La vérité ne se vend ni ne s’achète, dit le solitaire.

— Eh bien, je garderai mon argent.

— Vous en aurez besoin. — Arrêtez, dit-il à miss Vere au moment où ses compagnes partaient, j’ai encore deux mots à vous dire. Vous avez ce que vos compagnes voudraient avoir, beauté, richesse, naissance, talents.

— Permettez-moi de suivre mes compagnes, bon père : je suis à l’épreuve contre la flatterie et les prédictions.

— Arrêtez, s’écria le Nain en retenant le cheval par la bride, je ne suis pas un flatteur. Croyez-vous que je regarde toutes ces qualités comme des avantages ? Chacune d’elles ne traîne-t-elle pas à sa suite des maux innombrables ?

— Eh bien, mon père, en attendant que tous ces maux m’arrivent, laissez-moi jouir d’un bonheur que je puis me procurer. Vous êtes âgé, vous êtes pauvre ; votre situation vous expose aux soupçons des ignorants. Permettez-moi d’améliorer votre sort ; lorsque j’éprouverai les malheurs dont vous me faites la prédiction, et qui ne se réaliseront peut-être que trop tôt, il me restera du moins la consolation de n’avoir pas tout à fait perdu le temps où j’étais plus heureuse.

— Oui, dit le vieillard d’une voix qui trahissait une émotion dont il s’efforçait en vain de se rendre maître ; oui, c’est ainsi que tu dois penser, c’est ainsi que tu dois parler, s’il est possible que les discours d’une créature humaine soient d’accord avec ses pensées ? Attends-moi un instant.