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LE NAIN NOIR

En approchant davantage, Earnscliff reconnut que la conjecture de son compagnon n’était pas invraisemblable. L’être mystérieux semblait employer toutes ses forces à ramasser les pierres éparses, et à les placer les unes sur les autres, mais son travail n’était pas facile, et l’on avait peine à comprendre qu’il eût pu remuer les pierres énormes qui servaient de fondements à son édifice. Quand les deux jeunes gens arrivèrent, il s’occupait à en placer une très lourde, et il y mettait tant d’attention, qu’il ne les vit pas s’approcher.

— Il faut que ce soit l’esprit d’un maçon : voyez comme il manie ces grosses pierres. Si c’est un homme, après tout, je voudrais savoir combien il prendrait par toise pour construire un mur de digue. On aurait bien besoin d’en avoir un entre Cringlehope et les Shaws. — Brave homme, ajouta-t-il en élevant la voix, vous faites-là un ouvrage pénible.

L’être auquel il s’adressait se tourna de son côté en jetant sur lui des regards égarés.

Comme il regardait en silence les deux jeunes gens, Earnscliff, afin de l’adoucir, lui dit : — Vous vous êtes donné une tâche fatigante ; permettez-nous de vous aider ; — et, réunissant leurs efforts, Elliot et lui placèrent une pierre sur le mur commencé. Pendant ce temps, le Nain les regardait de l’air d’un maître qui inspecte ses ouvriers, et témoignait par ses gestes combien il s’impatientait de leur lenteur. Celle-ci posée, il leur en montra une seconde, puis une troisième, puis une quatrième, paraissant choisir avec un malin plaisir les plus lourdes et les plus éloignées ; mais lorsque le déraisonnable Nain leur en désigna une cinquième, plus difficile encore à remuer que les précédentes : — Oh ! ma foi, l’ami, dit Elliot, Earnscliff fera ce qu’il lui plaira ; car, que vous soyez un homme, ou tout ce qu’il peut y avoir de pire, le diable me torde les doigts si je m’éreinte plus longtemps comme un manœuvre, sans recevoir tant seulement un remerciement pour nos peines.

— Un remerciement ! s’écria le Nain en le regardant de l’air du plus profond mépris ; recevez-en mille, et puissent-ils vous être aussi utiles que ceux qui m’ont été prodigués !… Allons ! travaillez, ou partez.

— Notre présence paraît le contrarier, répondit Earnscliff ; retirons-nous, nous ferons mieux de lui envoyer quelque nourriture.

En effet, de retour à Heugh-Foot, ils chargèrent un domestique de porter au Nain un panier de provisions.

Le Nain continua ses travaux avec une activité qui paraissait presque surnaturelle ; il faisait en un jour plus d’ouvrage que deux hommes ensemble ; et les murs qu’il élevait prirent bientôt l’appa-