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LES PURITAINS D’ÉCOSSE

l’Écosse depuis longtemps, si ce n’eût été son amour pour Miss Bellenden.

Le major Bellenden avait été l’ami intime du colonel Silas Morton. Henry était le bienvenu à Charnwood : c’était là qu’il avait vu Edith ; et le major, éloigné en pareil cas de concevoir un soupçon, n’avait pas la moindre idée des conséquences que pouvaient amener les fréquentes occasions que ces jeunes gens avaient de se voir. L’amour, comme c’est l’usage, emprunta le nom de l’amitié, se servit de son langage, en réclama les privilèges. Lorsque miss Bellenden revenait à Tillietudlem, on aurait pu s’étonner que le goût de la promenade la conduisit si souvent dans une prairie située à deux milles du château, où le hasard voulait que Henry ne manquât jamais de se trouver. Ces rencontres, quelque fréquentes qu’elles fussent, ne semblaient pourtant surprenantes ni à l’un ni à l’autre, el elles finirent par devenir une espèce de rendez-vous. On s’envoya des livres, des dessins, des lettres, et chaque envoi donnait lieu à une nouvelle correspondance. Le mot « amour » n’avait pas été prononcé ; mais chacun d’eux connaissait parfaitement la situation de son cœur, et devinait les sentiments de l’autre.

D’après cet état de choses et sa défiance naturelle de lui-même, Morton ne se dissimulait pas le peu d’espoir qu’il avait d’obtenir jamais la main d’Edith, que sa fortune, sa naissance, sa beauté, ses talents, devaient nécessairement faire rechercher par des jeunes gens qui seraient accueillis par la famille plus favorablement qu’il ne pouvait se flatter de l’être. Le bruit public désignait lord Evandale comme devant l’emporter sur tous ses rivaux, et ses fréquentes visites à Tillietudlem, ainsi que l’estime particulière que lui témoignait lady Marguerite, semblaient confirmer cette opinion.

Jenny Dennison avait aussi contribué à augmenter la jalousie de Henry. C’était une véritable coquette de village ; et quand elle ne pouvait tourmenter ses propres amants, elle trouvait quelque plaisir à inquiéter celui de sa maîtresse. Ce n’est pas qu’elle eût envie de le desservir : il lui plaisait beaucoup, parce qu’il était beau garçon, et parce qu’elle savait qu’il était aimé de miss Edith, à qui elle était véritablement attachée ; mais lord Evandale n’était pas moins bien fait ; il avait le moyen d’être infiniment plus libéral que le jeune Milnwood, et la balance penchait en sa faveur dans le cœur de la suivante qui d’ailleurs voyait beaucoup plus d’honneur et de profit à être la femme de chambre de lady Evandale que celle de mistress Morton. Elle tourmentait donc fréquemment Henry, tantôt par un avis amical, tantôt par une confidence inquiétante, mais qui