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LES PURITAINS D’ÉCOSSE

bles sont obligés de faire. J’ai eu, comme un autre, ma part dans les guerres civiles, mais je me trouvais bien plus à mon aise lorsque je combattais sur le continent, face à face avec des figures étrangères, et dont le langage n’était pas le mien. C’est une chose terrible que d’entendre un malheureux vous demander merci en écossais, et d’être obligé de le sabrer comme si un Français vous criait miséricorde ! Les voilà qui sortent du bois de Netherwood. Sur mon honneur, ce sont de beaux hommes. Celui qui galope en avant de la colonne est sans doute Claverhouse. Oui, il se met à la tête de la troupe pour passer le pont. Ils seront ici dans cinq minutes.

Lorsque la cavalerie eut passé le pont, elle se divisa en deux corps. Les soldats, conduits par les sous-officiers, prirent le chemin de la ferme, où lady Bellenden avait fait préparer ce qui était nécessaire pour leur réception ; les officiers, avec l’étendard et une escorte pour le garder, gravirent le sentier étroit et escarpé qui conduisait à la porte du château, tenue ouverte à leur intention.

Lady Bellenden, Édith et le major descendirent de leur poste d’observation pour recevoir leurs hôtes, avec une suite de domestiques en aussi bon ordre que le leur permettaient les orgies de la nuit. Le brave cornette, parent du colonel et un Grahame comme lui, avec qui le lecteur a déjà fait connaissance, inclina l’étendard devant les dames, au milieu des fanfares militaires, et les murs du château retentirent du son des instruments et des hennissements des coursiers.

Claverhouse[1] montait un cheval parfaitement noir, le plus beau peut-être de toute l’Écosse, bien dressé, accoutumé au feu, et qui l’avait sauvé de plusieurs dangers. Toutes ces circonstances faisaient courir le bruit, parmi les presbytériens rebelles, que cet animal lui avait été donné par l’ennemi du genre humain pour l’aider à les persécuter, et qu’il ne pouvait être blessé ni par l’acier ni par le plomb. Le colonel mit pied à terre, vint présenter ses respects aux dames, et offrit mille excuses à lady Marguerite pour l’embarras qu’il lui occasionnait ; la noble dame l’assura qu’elle ne pouvait que s’applaudir de la circonstance qui amenait chez elle un serviteur si loyal de Sa Majesté. Enfin, lorsque toutes les formules de politesse furent épuisées, il demanda la permission d’entendre le rapport qu’avait à lui faire le sergent Bothwell, et se retira à l’écart pendant quelques minutes.

Le major saisit cette occasion pour dire à Édith, sans que lady Bellenden pût l’entendre : — N’êtes-vous donc pas folle, ma nièce, de m’écrire une lettre remplie de je ne sais combien de sornettes à propos de robes, de romans, et de placer dans un post-scriptum la seule chose qui pût m’intéresser ?

  1. john grahame de claverhouse.

    La tradition raconte qu’il éprouvait un grand désir d’être présenté à une lady Elphinstoun. La noble matrone (elle était plus que centenaire) ne consentit qu’à regret à cette demande. Après les premiers compliments d’usage, Claverhouse crut pouvoir dire à cette dame qu’ayant vécu au delà du terme ordinaire, elle avait dû être témoin d’étranges changements. « Pas autant que vous pourriez le croire, Monsieur, répondit-elle ; le monde finit pour moi comme il a commencé. Lorsque j’entrai dans la vie, il y avait un Knox qui nous étourdissait de ses clavers, et maintenant que je vais en sortir, il y a un Claver’se qui nous étourdit de ses knocks. » — Knox, nom d’un prédicateur fameux, signifie coups, tapage, en anglais Knocks, et Clavers, qui est l’abréviation du nom de Claverhouse (Claver’se), signifie non-sens, folie, bavardage.