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LE NAIN NOIR

était semé d’un grand nombre de fragments énormes du même granit, que leur forme et leur disposition avaient fait appeler les « oies grises de Mucklestane-Moor » ; et la légende trouvait l’explication de cette singularité dans la catastrophe d’une fameuse et redoutable sorcière qui jadis fréquentait les environs, faisait avorter les brebis et les vaches, qui en un mot jouait tous les méchants tours qu’on attribue aux gens de son espèce. C’était sur cette bruyère que la vieille pratiquait le sabbat avec ses sœurs les sorcières. On montrait encore des places circulaires dans lesquelles ni bruyère ni gazon ne pouvaient croître, le terrain étant en quelque sorte calciné par les pieds brûlants des diables qui venaient prendre part à la danse. Un jour, la vieille sorcière fut obligée de traverser ce lieu pour conduire, dit-on, des oies à une foire voisine ; car on n’ignore pas que le diable, tout prodigue qu’il est de ses funestes dons, est assez peu généreux pour laisser ses associés dans la nécessité de travailler pour vivre. Le jour était avancé, et, pour tirer un meilleur parti de son troupeau, il fallait qu’elle arrivât la première au marché. Mais, aux approches de cette lande sauvage, coupée par des flaques d’eau et des fondrières, les oies se dispersèrent tout à coup pour se plonger dans leur élément favori. Furieuse de voir que ses efforts pour les rassembler restaient inutiles, la sorcière s’écria : — Démon ! que je ne sorte plus de ce lieu, ni mes oies ni moi ! — À peine ces mots étaient-ils prononcés que, par une métamorphose subite, la vieille et le troupeau furent convertis en pierres.

Tous ces détails se retracèrent à l’esprit d’Hobbie ; il se rappela également qu’il n’existait pas un seul villageois qui n’évitât soigneusement cet endroit, surtout à la nuit tombante.

Hobbie ne manquait pas de courage ; il appela près de lui les chiens qui l’avaient suivi à la chasse, il regarda si son fusil était bien amorcé, puis, il se mit à siffler. Toutefois, on juge bien qu’il ne fut pas fâché d’entendre derrière lui une voix de sa connaissance ; il s’arrêta aussitôt, et fut joint par un jeune homme qui demeurait dans les environs, et qui, comme lui, avait passé la journée à la chasse.

Patrick Earnscliff d’Earnscliff venait d’atteindre sa majorité et d’entrer en possession d’une fortune fort honnête. Il était d’une bonne famille universellement respectée dans le pays ; et, doué d’excellentes qualités.

— Allons, Earnscliff, s’écria Hobbie, je suis toujours aise de rencontrer Votre Honneur, et il fait bon d’être en compagnie dans un désert comme celui-ci. — C’est un endroit tout rempli de fondrières. — Où avez-vous chassé aujourd’hui ?