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IVANHOÉ.

— Leur trafic, Wamba ! qu’entends-tu par là ? lui demanda son compagnon.

— Voici ce que j’entends, dit le bouffon ; ils établissent avec le Ciel une balance de comptes, comme notre vieux sommelier le faisait dans ses écritures, balance de comptes aussi juste que celle d’Isaac le juif avec ses débiteurs : comme lui, ils font de petites avances et se font rendre de fortes sommes, supportant sans doute pour balance en leur faveur cette usure sept fois multipliée que le texte sacré a permis aux prêts charitables.

— Expliquez ce que vous voulez dire par un exemple, répondit le chevalier ; je ne connais rien aux chiffres ni aux intérêts.

— Eh bien ! dit Wamba, puisque Votre Valeur a l’entendement si dur, vous saurez que ces honnêtes gens font la balance d’une bonne œuvre par une œuvre qui n’est pas tout à fait aussi louable. Ils donnent, par exemple, une couronne à un frère mendiant contre cent besants dont ils ont dépouillé un gros abbé ; et ils soulagent une pauvre veuve pour faire compensation d’une jeune fille avec laquelle ils ont badiné dans la forêt.

— Laquelle de ces actions est la bonne ? laquelle est la mauvaise ? interrompit le chevalier.

— Bonne plaisanterie, bonne plaisanterie ! s’écria Wamba ; rien ne donne de l’esprit comme la compagnie de ceux qui en ont. Vous n’avez rien dit de si bon, vaillant chevalier, j’en suis sûr, quand vous chantiez vos vêpres bachiques avec ce gros ermite. Mais je continue. Les joyeux enfants de la forêt bâtissent une chaumière, mais ils brûlent un château ; ils couvrent de chaume une petite chapelle et dépouillent une église ; ils délivrent un pauvre prisonnier et assassinent un shérif orgueilleux ; ou, pour ce qui nous regarde de plus près, ils donnent la liberté à un franklin saxon et brûlent vif un Normand. Bref, ce sont de gentils voleurs et des brigands courtois ; cependant le bon moment pour les rencontrer, c’est quand leur balance n’est pas de niveau.