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IVANHOÉ.

venger de ton mépris implacable. Penses-tu que, si Front-de-Bœuf trouvait Cédric le Saxon dans son château, sous ce déguisement, ta vie serait de longue durée ? Déjà son œil s’est fixé sur toi comme celui d’un faucon sur sa proie.

— Eh bien ! répondit Cédric, que ce faucon me déchire de son bec et de ses griffes, que ma langue ne dise pas un mot qui ne soit avancé par mon cœur, je mourrai en Saxon, fidèle à ma parole, franc dans mes actions. Je t’ordonne de te retirer. Ne me touche pas, ne me retiens pas ! La vue de Front-de-Bœuf lui-même me serait moins odieuse que celle d’une femme dégradée et avilie comme toi.

— Soit ! reprit Ulrica cessant de retenir Cédric ; suis ton chemin et oublie dans l’insolence de ta supériorité que la misérable que tu abandonnes est la fille de l’ami de ton père. Suis ton chemin ; si je suis séparée du genre humain par mes souffrances, séparée de ceux auxquels je pourrais à plus juste titre demander un appui, je ne veux pas, du moins, être séparée d’eux dans ma vengeance. Nul homme ne m’aidera, mais les oreilles de tous les hommes tinteront au bruit de l’action que j’oserai commettre. Adieu ! ton mépris a brisé le dernier lien qui semblait encore m’attacher aux hommes ; il a détruit l’espoir que mes angoisses pourraient m’attirer la compassion de mes compatriotes.

— Ulrica, dit Cédric, que cet appel avait attendri, as-tu supporté l’existence à travers tant de misères pour t’abandonner au désespoir, quand tes yeux sont ouverts sur le crime et que le repentir peut être pour toi une consolation ?

— Cédric, répondit Ulrica, tu connais peu le cœur humain. Pour agir et penser comme je l’ai fait, il a fallu l’amour effréné du plaisir mêlé à une soif ardente de vengeance, et la conscience orgueilleuse de pouvoir la mettre à exécution. Ce sont là des passions trop enivrantes pour que le cœur humain les ressente et conserve la force de les combattre. Cette force a succombé depuis longtemps ; la vieillesse n’a pas de plaisirs, les rides n’ont aucune influence ; la vengeance elle-même s’évapore en malédictions