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claves tels que toi ; mais il devient beef, c’est-à-dire un fougueux et vaillant Français, quand on le place sous les honorables mâchoires qui doivent le dévorer ; monsieur calf aussi devient monsieur le veau de la même façon ; il est Saxon tant qu’il lui faut nos soins et nos peines, et il prend un nom normand aussitôt qu’il devient un objet de régal.

– Par saint Dunstan ! s’écria Gurth, tu ne dis là que de tristes vérités. On ne nous laisse à peu près que l’air que nous respirons, et on paraît nous l’avoir accordé en hésitant fort, et dans le seul but de nous mettre à même de porter le fardeau dont on charge nos épaules. Tout ce qui est beau et gras est pour les tables des Normands ; les plus belles sont pour leurs lits, les plus braves pour les armées de leurs maîtres à l’étranger, et ceux-là vont blanchir de leurs ossements les terres lointaines, ne laissant ici qu’un petit nombre d’hommes qui aient, soit la volonté, soit le pouvoir de protéger les malheureux Saxons. Que la bénédiction de Dieu soit sur notre maître Cédric ! Il a fait son labeur d’homme en se tenant sur la brèche ; mais Reginald Front-de-Bœuf va descendre dans ce pays en personne, et nous verrons bientôt combien peu Cédric sera récompensé de sa peine. Allons, viens ici, s’écria-t-il de nouveau en élevant la voix, taïaut ! taïaut ! tu les as tous devant toi à cette heure, et tu les fais marcher lestement, mon garçon.

– Gurth, dit le railleur, je sais que tu me prends pour un fou, et tu ne serais pas si téméraire que de mettre ta tête entre mes dents ; un mot de ce que tu viens de dire contre les Normands rapporté à Reginald Front-de-Bœuf ou à Philippe de Malvoisin, et tu serais un homme chassé, et l’on te verrait te balançant à la branche d’un de ces arbres, comme un mannequin, pour effrayer toutes ces mauvaises langues qui parlent mal des grands seigneurs et des hauts dignitaires.

– Chien ! s’écria Gurth, tu ne vas pas me trahir, j’es-