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pressifs caractéristiques de Bach. La richesse de son langage ne consiste pas dans l’abondance de thèmes différents, mais dans les différentes inflexions que prend le même thème suivant les occasions. Sans cette variété de nuances, on pourrait même reprocher à son langage une certaine monotonie. C’est en effet la monotonie du langage des grands penseurs qui, pour rendre la même idée, ne trouvent toujours qu’une expression unique, parce qu’elle est la seule vraie.

Mais son langage permet à Bach de préciser ses idées d’une façon surprenante. Il dispose d’une variété de nuances dans l’expression de la douleur et de la joie, qu’on chercherait vainement chez d’autres musiciens. Une fois connus les éléments de son langage, les compositions même qui ne se rattachent à aucun texte, comme les préludes et les fugues du Clavecin bien tempéré, deviennent parlantes et énoncent en quelque sorte, une idée concrète. S’agit-il d’une musique écrite sur des paroles, on peut, sans regarder le texte, en préciser les idées caractéristiques à l’aide des thèmes seuls.

Mais le plus curieux, c’est que ce langage de Bach n’est point le fruit d’une longue expérience. Les différents motifs de la douleur se trouvent déjà dans le Lamento du Cappricio, qu’il a écrit entre dix-huit et vingt ans. Quand il composait l’Orgelbüchlein, qui date de l’époque de Weimar, il avait environ trente ans. Or, à ce moment, tous ses motifs expressifs typiques sont déjà arrêtés et fixés, et, dans la suite, ne subiront plus aucun changement. C’est qu’en cherchant à représenter en musique toute une série de chorals, il se vit forcé de chercher les moyens de s’exprimer simplement et clairement. Il renonce alors à décrire par le développement musical et adopte le procédé qui consiste à tout exprimer par le thème. En même temps il fixe les formules principales de son langage musical.

Ces petits chorals sont donc le dictionnaire de la musique de Bach. C’est de là qu’il faut partir, pour arriver à