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mauvaise fortune bon cœur. Mais avant de se résigner, il fait l’impossible pour découvrir quelque germe musical dans le texte même. Déjà la phrase musicale qu’il lui applique, est née du rythme naturel des paroles. Par là il devance Wagner. Chez Händel, on perçoit souvent un antagonisme latent entre la phrase du texte poétique et la phrase musicale qui vient se superposer à celle-ci. Par exemple, il lui arrive de fragmenter des périodes longues en plusieurs phrases, qui cessent, dès lors, de former un tout. Chez Bach, au contraire, la période musicale est modelée sur le phraser du texte. Elle en jaillit naturellement. La phrase la plus longue, il la rend par une de ses belles grandes périodes musicales dont il a le secret. De passages sans structure aucune qui, au premier abord, semblent réfractaires à toute déclamation, il tire les plus belles phrases musicales, et avec une habileté si naturelle, qu’on s’étonne de ne pas y avoir soupçonné ce phraser jusque là[1].

Son plus grand souci, c’est de donner au texte le relief qu’exige la musique. Peu lui importe d’amplifier le sentiment exprimé par ces paroles. Le contentement devient volontiers joie exubérante et la tristesse, douleur aiguë. Souvent il s’attache à un seul mot qui résume, à ses yeux, tout ce que le texte contient de substance musicale, et, par la composition, il lui donne une importance qu’il n’avait point en réalité. C’est ainsi que du texte de la cantate « Es ist ein trotzig und verzagtes Ding » (No. 176), il n’a réalisé en musique que le mot « trotzig » (arrogant), alors que, dans l’ensemble, il s’agit plutôt de contrition. En mainte occasion, il présente son texte sous un jour faux ; mais, toujours, l’idée qui se prête à l’expression musicale se trouve amenée au premier plan.

  1. Citons, par exemple, le premier chœur de la cantate « Die Himmel erzählen die Ehre Gottes » (psaume 19, versets 2e et 4e), No. 76, et la cantate « Nach dir Herr verlanget mich », No. 150. On apprécie cet art tout particulier, partout, où Bach a mis en musique des versets bibliques. Ce sont eux, en effet, qui offrent le plus de difficultés à la déclamation musicale, n’ayant jamais été destinés à être mis en musique et accusant un style étrange et incohérent par suite des différentes traductions qu’ils ont subies.