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Il devint donc poète tout en restant peintre : son œuvre se compose de portraits et de paysages. L’évocation visuelle, c’est là l’originalité et comme le secret de son talent narratif. Ses lettres de Suisse sont des esquisses de tableaux, et dans ses lettres d’Italie il se félicite « d’avoir eu de tout temps le don de voir le monde avec les yeux du peintre, dont les tableaux étaient présents à son esprit. » Dans ses promenades en gondole, Venise lui apparut comme une succession de tableaux de l’école Vénitienne. Ses personnages sont des portraits. Dans Faust, c’est lui-même qu’il peint. Toutes ces scènes idylliques, naïves, tragiques, burlesques, fantastiques, allégoriques de ce vaste drame, sont autant de toiles de fond sur lesquelles se détache le portrait de Goethe aux différents moments de sa vie. Il n’est pas jusqu’à la musique qu’il ne perçût sous forme visuelle : en entendant du Bach, il voyait des personnages raides dans leurs atours descendre un grand escalier à pas solennels.

Est-il besoin de rappeler le cas classique de Taine, ce peintre de la littérature ? Gottfried Keller, l’auteur de « Romeo et Juliette au village, » avait également débuté par la peinture. Inversement, Böcklin est un poète fourvoyé parmi les peintres. Son imagination poétique le transporte dans les lointains mythologiques et évoque devant les yeux du peintre, sous forme de visions concrètes, ce monde des forces élémentaires rêvé par les poètes panthéistes. Qu’importent dès lors au poète les lignes et les couleurs ? La composition picturale, l’exactitude du dessin, il en fait bon marché ; l’essentiel pour lui, c’est, de plus en plus, d’exprimer des idées. Rien de plus significatif à cet égard que l’œuvre dernière de Böcklin, cette informe, mais si dramatique image de la Peste du musée de Bâle.

Nietzsche était un musicien. Il s’essaya même dans la composition musicale et soumit ses ébauches à Wagner. Elles sont encore plus médiocres que les dessins de Goethe.