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du primat de la volonté dans notre conscience

ability of brilliancy in conversation. They seem pleased at the time ; but their envy makes them curse him at their hearts[1]. » (Boswell, æt. anno 74.) Cette vérité que presque tous s’efforcent de dissimuler avec tant de soin, je veux la mettre impitoyablement dans tout son jour, en ajoutant à toutes ces citations l’expression qu’en a donnée Herck, le célèbre ami de jeunesse de Gœtbe. Dans son récit, intitulé Leridor, il dit : « Il possédait des talents naturels ou acquis par l’étude, et grâce à eux, dans la plupart des compagnies, il laissait loin derrière lui les honorables assistants. Dans le premier moment de ravissement causé par la vue d’un homme extraordinaire, le public subit cette supériorité, sans en donner sur-le-champ une explication perfide ; pourtant il reste de ce spectacle une certaine impression qui, si elle se répète souvent, peut dans des circonstances sérieuses avoir pour son héros des suites désagréables. Personne ne s’avouera ouvertement qu’il a été offensé cette fois ; mais quand il s’agira de quelque avancement à donner à cet homme extraordinaire, tout le monde lui fera de grand cœur une opposition muette. » Voilà donc pourquoi une grande supériorité intellectuelle isole plus que toute autre chose, et vous fait détester, en silence du moins. Or, c’est la raison opposée qui vaut tant de sympathies aux sots, d’autant que mainte personne trouvera uniquement chez eux ce que la loi susdite de sa nature lui fait un besoin de chercher. Mais cette raison véritable d’une telle sympathie, personne n’osera se l’avouer à lui-même et moins encore aux autres ; pour en donner un prétexte plausible, on attribuera à cet ami de choix une bonté de cœur toute particulière, mais qui, comme nous l’avons dit, ne se rencontre que rarement et par hasard unie à la débilité de l’esprit. — L’inintelligence ne favorise donc pas la bonté du caractère ni n’en est parente. D’autre part il est impossible de prétendre que la force de l’esprit engendre cette bonté du cœur : il est plutôt vrai de dire que sans cette force il n’y a jamais de grand scélérat. La supériorité intellectuelle la plus éminente même peut coexister avec la pire perversité morale. Bacon de Vérulam en est un exemple : ingrat, ambitieux, méchant et abject, il alla si loin dans le mal que lui, le grand lord chancelier du royaume et le juge suprême, il se laissa corrompre dans des procès civils ; accusé par ses pairs, il se reconnut coupable, fut chassé de la maison des lords, condamné à une amende de quatre mille livres ainsi qu’à l’emprisonnement dans la Tour (V. la critique de la nouvelle éd. des œuvres de Bacon dans l’Edinburgh Review, août 1837) : aussi Pope l’appelle-t-il the wisest, brightest, meanest

  1. Il n’est rien qui contrarie autant le monde que de se montrer d’une supériorité brillante dans la conversation. Sur le moment la compagnie feint d’y trouver son plaisir ; mais au fond du cœur on maudit par jalousie ce causeur étincelant.