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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

un gain à la loterie, par toute autre voie, jamais par le travail fait à la sueur de notre front ; c’est à des idées justes, à des inspirations, que nous les devons, à des spéculations, par exemple, parfois même à des coups de tête absurdes, mais que le hasard a favorisés, que le « Deus Eventus » a récompensés, glorifiés. Rarement sont-ils le fruit d’un travail, de soins véritables : et même alors, souvent il s’agit d’un travail d’esprit, tel que celui de l’avocat, du médecin, du fonctionnaire, du professeur, travail qui, aux yeux du vulgaire grossier, ne doit pas coûter grand’peine. Il faut des intelligences déjà fort cultivées, pour reconnaître dans une propriété de ce genre, le droit moral, pour la respecter en vertu de raisons toutes morales. — Aussi plus d’un, à part lui, ne voit dans les biens d’autrui que des possessions garanties par le seul droit positif. Si alors ils trouvent le moyen, soit en utilisant, soit simplement en tournant les lois, de dépouiller leur prochain, ils n’ont pas une hésitation : il leur semble que ce qui est venu par la flûte peut bien s’en aller par le tambour ; et leurs prétentions leur paraissent aussi bien fondées que celles du premier propriétaire. À voir les choses de ce biais, ils doivent croire que l’institution de la société n’a fait que substituer au droit du plus fort, le droit du plus habile. — Pourtant, il arrive parfois que le riche est un homme inviolablement attaché à la justice, soumis de tout son cœur à une règle et décidé à maintenir une maxime, à l’observance même de laquelle il doit tout son bien, et les avantages qui en sont la suite ; alors, très-sérieusement, il reste fidèle au principe : « Suum cuique[1] », et ne s’en écarte point. On rencontre des exemples de cette obéissance à la loi de la bonne foi et de la sincérité, jointe à un parti pris, de respecter pieusement cette loi ; et le tout, par ce seul motif, que la sincérité et la bonne foi sont les principes de tout libre commerce entre les hommes, du bon ordre, de la sûreté pour les propriétés ; grâce à quoi souvent il nous est avantageux à nous-

  1. « À chacun ce qui lui revient. » (TR.)