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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

qu’à donner un système de fatalisme moral, qui développé, tourne enfin au comique.[1]

Déjà, dans l’éthique de Kant, on surprend certaines traces d’un pédantisme de moraliste ; mais chez Fichte, tous les ridicules du pédant de morale s’étalent : riche matière pour le satiriste ! Comme exemple lisez les pp. 407-409, où est résolu ce cas de conscience célèbre, de deux hommes, dont il faut que l’un ou l’autre soit sacrifié. Et de même pour tous les défauts de Kant : nous les voyons là portés au superlatif : ainsi, p. 199 : « À agir par sympathie, par compassion, par charité, il n’y a absolument aucune moralité : ces actes, en tant que tels, vont contre la

  1. Pour prouver ce que j’avance, je veux citer ici seulement quelques passages. P. 196 : « Le motif moral est absolu, il commande purement et simplement, sans intervention d’aucune fin différente de lui-même. » — P. 232 : « Selon la loi morale, l’être empirique, qui vit dans le temps, a pour devoir de devenir une expression exacte du moi primitif. » — P. 308 : « L’homme, tout entier, n’est que le véhicule de la loi morale. » — P. 342 : « Je ne suis qu’un instrument, un simple outil, pour la loi morale ; nécessairement donc, je ne suis pas une fin. » — P. 343 : « Tout individu est une fin, en ce qu’il est un moyen propre à réaliser la Raison : c’est là le but dernier de son existence : c’est pour cela seulement qu’il est, et si ce but ne doit pas être atteint, alors il n’a aucun besoin absolument d’exister. » — P. 347 : « Je suis un instrument de la loi morale dans le monde des sens ! » — P. 360 : « C’est la Raison qui commande que nous nourrissions notre corps, que nous le maintenions en santé : bien entendu, en un sens seulement, et pour un seul but : à savoir, en vue d’en faire un instrument puissant pour la réalisation de la Raison, prise comme fin. » (Cf. p. 371.) — P. 376 : « Tout corps d’homme est un instrument pour la réalisation de cette fin, la Raison : c’est pourquoi je dois prendre pour but un état où chacun de ces instruments aurait sa plus grande utilité : c’est pour cela que je dois prendre soin de tous. » Voilà sa façon de déduire la charité. — P. 377 : « Si je peux, si je dois m’occuper de moi-même, c’est en ma qualité d’instrument de la loi morale, et dans cette mesure seulement. » — P. 388 : « Quand un homme est persécuté, c’est un devoir absolu de le défendre, fût-ce au péril de notre propre vie : dès qu’une vie d’homme est en danger, nul n’a plus le droit de songer à sa propre sûreté. » — P. 420 : « Dans le domaine de la loi morale, je ne puis regarder les hommes mes compagnons que sous un aspect : comme des instruments de la Raison. »