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LA THÉORIE DE LA CONSCIENCE DANS KANT.

sqq.)[1] ? ainsi nous rentrerions donc dans la voie de la crainte religieuse, quoique par le paganisme ?

Sans doute Kant, en nous donnant cet exposé encore bref, mais suffisant pour l’essentiel, de sa théologie morale, se garde de lui attribuer aucune valeur objective : il n’y voit qu’une forme nécessaire aux yeux du sujet. Mais ce n’est pas assez pour l’absoudre de l’arbitraire qu’il met à faire cette construction, tout en la disant nécessaire pour le sujet seul : car il l’établit sur des affirmations sans fondement.

Ainsi une chose est claire : lorsque Kant nous représente l’action de la conscience comme un drame juridique, lorsqu’il observe d’un bout à l’autre cette forme comme si elle ne faisait qu’un avec le fond des choses, le tout pour arriver à tirer de là des conséquences, il attribue à la conscience ce qui ne lui est en rien ni essentiel ni propre. Cette forme est d’un emploi bien plus général : elle s’applique aisément en toute occasion de la vie pratique ; le plus souvent, ce qui la suscite, c’est un conflit de motifs opposés, dont la Raison, par ses réflexions, éprouve successivement la force ; et alors il n’importe, si ces motifs sont moraux ou égoïstes, et s’il s’agit de délibérer sur un acte à faire, ou de ruminer un acte accompli. Mais si nous dépouillons toute cette théorie de sa forme de drame juridique, dont l’usage est ici tout facultatif, alors nous voyons s’évanouir aussi cette gloire dont elle était environnée, et cette majesté qui nous en imposait ; tout ce qui reste, c’est ce fait, qu’au ressouvenir de nos actes, nous ressentons un mécontentement d’espèce particulière, et dont le caractère propre est de s’attacher à l’acte lui-même et non aux conséquences, et qui différant en cela du mécontentement que nous avons dans les autres cas, quand nous regrettons l’impru-

  1. Nestor, donnant ses conseils à son fils pour la course des chars, lui dit : « Allons, mon fils, mets dans ton âme la Sagesse (μῆτιν) qui pourvoit à tout… C’est par la Sagesse que sur la mer à la couleur vineuse le pilote dirige le vaisseau rapide… C’est par la Sagesse que le cocher l’emporte sur le cocher… » (TR.)