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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

de tout supporter, et qui ainsi tente la conscience du sceptique, déjà troublé à la pensée de sa propre valeur morale ! Ce principe des actions pures, il est pauvre, sa voix est faible : telle devant le roi Lear Cordelia, qui ne sait parler, ne peut que dire qu’elle sent son devoir ; en face, sont ses sœurs, prodigues de paroles, et qui font éclater leurs protestations. Ici, ce n’est pas trop pour se fortifier le cœur, que la maxime du sage : « La vérité est puissante, et la victoire lui appartient. » Maxime qui encore, lorsqu’on a vécu, appris, ne ranime plus guère. Pourtant, je veux une fois me risquer avec la vérité : quelle que soit ma fortune, ma fortune sera la sienne.

§ 2. — Coup d’œil rétrospectif d’ensemble.

Pour le peuple, c’est à la théologie qu’il appartient de fonder la morale : celle-ci devient alors la volonté de Dieu exprimée. Quant aux philosophes, nous les voyons au contraire se donner bien garde de suivre cette méthode dans l’établissement de la morale ; dans la seule pensée de l’éviter, ils aimeront mieux se rejeter sur des principes sophistiques. D’où vient cette contradiction ? À coup sûr on ne peut concevoir pour la morale une base plus solide que la base offerte par la théologie : car où est le présomptueux qui irait braver la volonté du Tout-Puissant, de Celui qui sait tout ? Nulle part, assurément ; pourvu, bien entendu, que cette volonté nous fût déclarée d’une façon bien authentique, qui ne laissât point de place au doute, d’une façon officielle, si on peut le dire. Malheureusement, c’est là une condition qui n’est jamais remplie. Tout au rebours, quand on cherche à nous montrer, dans cette loi, la volonté de Dieu révélée, on s’appuie sur ce qu’elle est d’accord avec nos idées morales, qui nous viennent d’ailleurs, c’est-à-dire de la nature : c’est à la nature, en somme, qu’on en appelle, comme à un juge suprême et plus sûr.