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DU PRINCIPE PREMIER DE LA MORALE DE KANT.

mitive et comme vivante de tous nos actes de volonté, et qui a sur tous les principes de morale au moins un avantage, le jus primi occupantis[1]. — Et en effet, voyez la règle suprême de Kant, celle qui nous guide dans la recherche du principe moral proprement dit : elle suppose perpétuellement, elle sous-entend que, pour vouloir une chose, il faut que cette chose soit ce qui m’arrange le mieux. Quand je pose une maxime que tous, en général, doivent suivre, nécessairement je ne peux pas me regarder comme toujours actif, mais je prévois que je serai à l’occasion et parfois, passif : c’est en prenant les choses de ce biais, que mon égoïsme se décide en faveur de la justice et de la charité. Non pas qu’il ait du plaisir à exercer ces vertus ; mais il en a à éprouver leurs effets ; avec l’avare, qui sort d’un sermon sur la bienfaisance, il s’écrie :

Que de profondeur ! que de beauté !
J’ai bien envie de me faire mendiant !

Ainsi, pour se servir de la formule où Kant enferme le principe suprême de la morale, il faut encore et de toute nécessité cette clé : lui-même ne peut s’empêcher de l’y joindre. Seulement, il ne la donne pas sur-le-champ après avoir proposé la règle, de peur de nous choquer : c’est seulement à une distance décente de là, et en l’enveloppant mieux dans le texte, afin qu’elle ne saute pas aux yeux. Alors en dépit de tant d’apprêts magnifiques, c’est proprement l’égoïsme qui a priori s’assied sur le siège du juge, et mène la balance ; alors aussi, quand, considérant le rôle passif où le sujet peut se trouver réduit éventuellement, il a rendu son arrêt, la loi se trouve valoir également pour le cas contraire. Ainsi p. 19, R. 24 : « je ne peux vouloir que, de mentir, ce soit une loi universelle : car alors on ne me croirait plus, ou bien on me paierait en même monnaie. » Voici ce qu’il dit p. 56, R. 60 à propos de la maxime de l’insensibilité : « Une volonté,

  1. Droit du premier occupant. (TR.)