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DU FONDEMENT DE LA MORALE DANS KANT.

naissance des sens, et enseigne qu’il n’y a pas impossibilité à ce que la matière pense. Enfin Kant, dont on sait la critique de la psychologie rationnelle, telle qu’elle se trouvait dans la première édition. En face se trouvent Leibniz et Wolff, avocats de la partie accusée : et c’est à quoi Leibniz a dû cet honneur immérité, d’être comparé à celui dont il diffère tant, au grand Platon. Mais ce n’est pas le lieu d’expliquer ces choses. Or, selon cette psychologie rationnelle, l’âme était originairement et par essence un être capable de connaître, puis et par suite, doué de volonté. Dans l’exercice de ces deux pouvoirs, selon qu’elle agissait purement pour elle-même et sans rapport avec le corps, ou en vertu de sa liaison avec ce dernier, elle manifestait sa faculté de connaître et celle de vouloir sous une forme supérieure ou sous une inférieure. Sous la première, l’âme immatérielle agissait pour elle-même et sans la coopération du corps : elle était « intellectus purus », et ne considérait que des notions en rapport avec elle-même, nullement sensibles, toutes spirituelles, et des actes de volonté de même sorte ; en tout cela rien qui vînt des sens, rien qui eût son origine dans le corps[1]. Alors, elle ne connaissait que de pures abstractions, des universaux, des idées innées, des « æternæ veritates », etc. Et pareillement sa volonté n’obéissait alors qu’à des notions du même ordre et toutes spirituelles. Au contraire, la forme inférieure de la connaissance et de la volonté était l’acte de l’âme agissant avec le concours du corps et de ses organes, et dans une étroite union avec eux, comme si son activité purement spirituelle était envahie, accaparée. D’où il résultait que toute connaissance perceptive devait être obscure et embrouillée : c’était l’abstrait, le produit des concepts abstrus, que l’on trouvait clair ! Quant à la volonté lorsqu’elle était déterminée par cette connaissance subordonnée aux sens, c’était la volonté inférieure, qui d’ordi-

  1. « Intellectio pura est intellectio, quæ circa nullas imagines corporeas versatur. » Descartes, Médit. p. 188. — « L’intellection pure est celle qui n’a rapport à aucune image corporelle. »