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DU FONDEMENT DE LA MORALE DANS KANT.

l’occasion, pour donner le premier branle, une force morale différente, agissant d’une façon positive ; qui, étant réelle, se présenterait d’elle-même, et sans qu’on l’appelât, exercerait, imposerait son influence. Mais rien ne serait plus contraire à la pensée de Kant : suivant lui, c’est l’opération intellectuelle ci-dessus qui seule doit être la source de toutes les notions morales, le punctum saliens[1] de la moralité. Or tant que la condition ici posée ne sera point réalisée, et elle ne l’est pas puisque, par l’hypothèse, il n’existe pas de ressort moral, hormis la susdite opération intellectuelle ; tout aussi longtemps, l’unique règle de conduite des hommes sera l’égoïsme, lui-même dirigé par les lois du déterminisme intérieur ; ce sont, pour mieux dire, les motifs tels que l’occasion les produit, avec leur caractère empirique, égoïste, qui détermineront de moment en moment la conduite de l’homme, eux seuls, sans rivaux. Car dans l’hypothèse on ne voit aucune raison, aucune cause, qui puisse éveiller dans l’esprit de l’homme cette idée, de se demander s’il est une loi, propre à limiter sa volonté, et à exiger sa soumission ; bien moins encore, de chercher et rechercher cette loi : or ce serait la première condition, pour qu’il pût s’engager dans cette voie si détournée, et faire toutes les réflexions qu’on a dites. Et il n’importe ici, quel degré de clarté on attribuera à cette suite de méditations conçues par Kant ; en vain on en amortira la clarté, jusqu’à en faire une délibération accompagnée seulement d’une obscure conscience. Il n’y a pas d’accommodement ici, qui puisse détruire ces vérités : que de rien, il ne résulte rien, et qu’un effet veut une cause. Le ressort moral doit être, nécessairement, comme tout motif qui détermine la volonté, une force qui se révèle d’elle-même, qui dès lors agit réellement, donc qui est réelle. Or pour l’homme, cela seul est réel, qui est objet d’expérience, ou qui pourrait, à ce qu’on suppose, le devenir à l’occasion. Par suite, le ressort de la moralité doit en fait être un objet d’expérience ; en cette qualité, il doit se présenter

  1. Point saillant. (TR.)