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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

salité même de la loi. D’où cette formule : « N’agis que d’après des maximes, dont tu puisses aussi bien vouloir, qu’elles deviennent une loi générale de tous les êtres raisonnables. » — Voilà bien le procédé si connu, si à part, de Kant, pour fonder le principe de la morale : c’est là le fondement de toute son éthique. — Comparez encore la Critique de la Raison pratique, p. 61, R. 147, remarque, à la fin. — Certes Kant a mis à faire ce tour d’adresse une grande habileté, et je lui paie à ce titre mon tribut d’admiration : mais je poursuis mon examen, qui est sérieux, en me tenant à mon critérium, le vrai. Je remarquerai seulement, sauf à y revenir ensuite, que la raison, en tant qu’elle fait tout ce raisonnement particulier, et parce qu’elle le fait, prend le nom de Raison pratique. Or l’impératif catégorique de la raison pratique est la loi qu’on obtient comme résultat à la suite de toute cette opération intellectuelle : donc la Raison pratique n’est point, comme l’ont pensé la plupart des disciples, et déjà Fichte, une faculté propre, irréductible, une qualité occulte, une sorte d’instinct moral, pareil au moral sense de Hutcheson ; comme le dit Kant dès la préface p. XII, R. 8, et plus d’une fois ailleurs, elle ne fait qu’un avec la Raison théorique : c’est la même raison, mais considérée dans l’accomplissement de l’opération ci-dessus dite. Fichte par exemple appelle l’impératif catégorique un Postulat absolu (Principes de toute la théorie de la science, Tubingue, 1802 ; p. 240, note) : c’est la façon moderne, honnête de dire : pétition de principe ; comme il n’a pas cessé de prendre dans ce sens l’impératif catégorique, il est tombé dans l’erreur dont j’ai parlé.

En appuyant la morale sur un tel fondement, Kant s’expose sur-le-champ à une première objection : c’est que la loi morale ne saurait naître en nous de cette façon-là : il faudrait pour cela que l’homme, de lui-même, prît tout à coup l’idée de se mettre en quête d’une loi, pour y soumettre et y plier sa volonté. Mais c’est là ce que jamais il ne se mettra en tête de lui-même : tout au moins faudrait-il d’abord, pour lui en fournir