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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

édification du monde, une théologie, qui reposait purement sur la morale, qui même en était sortie. La raison en était simple : cette morale elle-même repose sur des hypothèses théologiques dissimulées. Je ne voudrais pas faire de comparaisons satiriques, mais quant à l’apparence, le cas est assez semblable à celui du physicien adroit qui nous étonne, en nous faisant trouver un objet dans un endroit, où prudemment à l’avance il l’avait glissé. Voici, en termes abstraits, le procédé de Kant : il prit pour résultat ce dont il devait faire son principe ou son hypothèse (la théologie), et pour hypothèse, ce qu’il aurait dû trouver au bout de sa déduction et pour résultat (le commandement). L’édifice, une fois placé ainsi sens dessus dessous, personne, pas même Kant, ne le reconnut plus pour ce qu’il était, pour la vieille morale, la morale bien connue, des théologiens. C’est à examiner l’exécution de ce tour de passe-passe que nous consacrerons nos paragraphes 6 et 7.

En tout cas, déjà avant Kant, bien souvent la morale, même chez les philosophes, avait été présentée sous la forme impérative d’une théorie des devoirs : seulement, cette morale, à son tour on lui donnait pour appui la volonté d’un Dieu dont l’existence était démontrée d’ailleurs : on n’était point inconséquent. Mais quand on imagine, à la façon de Kant, de fonder la morale tout autrement, de l’établir sans aucune hypothèse métaphysique alors on n’a plus le droit de lui conférer en principe cette forme impérative, de poser d’abord ce « tu dois » et ce « voici ton devoir », sans déduire d’ailleurs toutes ces affirmations.

§ 5. — Des prétendus devoirs envers nous-mêmes, examinés en particulier.

Cette forme que prend la morale, quand on en fait une théorie des devoirs, et qui charmait tant Kant, il l’a respectée, quand il s’est agi, pour lui comme pour ses prédécesseurs, de poser, outre