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FONDEMENT MÉTAPHYSIQUE.

en qui toujours il a reconnu, aimé son essence, son être ; seulement l’illusion va tomber, l’illusion qui séparait sa conscience de toutes les autres. Ainsi s’explique, non pas entièrement, mais en grande partie, la conduite si différente que tiennent en face de la mort l’homme d’une bonté extraordinaire et le scélérat.

De tout temps, la pauvre Vérité a eu à rougir de n’être qu’un paradoxe : et pourtant ce n’est pas sa faute. Elle ne peut prendre la forme de l’erreur qui trône partout. Alors, gémissante, elle implore du regard son dieu protecteur, le Temps, qui du doigt lui montre le triomphe et la gloire futurs. Mais le Temps a un coup d’aile si ample, si lent, que, cependant, l’individu meurt. Moi aussi, je sens bien l’air paradoxal que je vais avoir, avec mon interprétation métaphysique du phénomène primordial en éthique, aux yeux de nos Occidentaux instruits, accoutumés qu’ils sont à voir fonder la morale de tout autre manière : mais je ne peux pas pourtant faire violence à la vérité. Tout ce que je peux, par considération pour eux, obtenir de moi, c’est de faire voir, par une citation, comment cette métaphysique de la morale était, il y a déjà des dizaines de siècles, au fond de la sagesse des Hindous ; c’est de cette sagesse que je me réclame : ainsi Copernic en appelait au système astronomique des pythagoriciens, étouffé par Aristote et Ptolémée. Dans le Baghavad-Gita, lecture XIII, 27-28, on lit ceci (traduction de A. W. von Schlegel) : « Eumdem in omnibus animantibus consistentem summum dominum, istis pereuntibus haud pereuntem qui cernit, is vere cernit. — Eumdem vero cernens ubique præsentem dominum, non violat semet ipsum sua ipsius culpa : exinde pergit ad summum iter[1]. »

Je dois m’en tenir à ces simples indications touchant la méta-

  1. « Celui qui voit un même souverain maître au fond de tous les vivants, maître qui lorsqu’ils meurent ne meurt pas, celui-là voit le vrai. — Or, voyant le maître présent partout, il ne se souille par aucune faute qui soit de son fait ; aussi il suit la route qui mène en haut. » (TR.)