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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

récidive. — Telle est donc la conscience, du moins considérée comme fait moral : en elle-même, elle demeure un problème de métaphysique ; ce problème ne touche pas directement à la présente question, toutefois il sera abordé dans notre dernier chapitre. — La conscience est ainsi purement la connaissance que nous prenons de notre caractère immuable, grâce à nos actes ; et ce qui nous le démontre bien encore, le voici : on sait combien varie d’homme à homme la sensibilité à tel ou tel genre de motifs, intérêt, méchanceté, pitié ; c’est même de là que dépend toute la valeur morale de l’homme : eh bien ! ce trait distinctif de l’individu ne s’explique en aucune autre manière ; l’instruction ne le produit pas ; il ne naît pas dans le temps, ne se modifie pas, il est inné, immuable, soustrait à tout changement. Ainsi une vie tout entière, avec tous ces travaux qui l’emplissent, est comme un cadran d’horloge, qui a pour ressort caché le caractère ; c’est un miroir dans lequel seul chacun peut voir, par les yeux de l’intelligence, la nature de sa volonté en elle-même, son essence propre.

Si le lecteur prend la peine d’embrasser d’un coup d’œil toute la présente théorie, avec ce qui est dit au § 10, déjà cité, il découvrira dans ma façon d’établir l’éthique, une logique, dans mes idées un ensemble, qui manquent à toutes les autres doctrines : sans parler d’une harmonie de ma pensée avec les faits de l’expérience, qui manque plus encore ailleurs. Car il n’y a que la vérité pour demeurer d’accord avec elle-même et avec la nature : tous les principes faux sont en lutte, chacun contre lui-même, et contre l’expérience : car l’expérience, silencieusement, à chaque pas que font ces doctrines, dépose une protestation.

Certes ces vérités, surtout celles par où je conclus ici, n’iront pas moins se heurter de front à des préjugés et des erreurs, et nommément à certaine morale d’école primaire, aujourd’hui à la mode : je le sais bien, et je n’en ai ni souci ni remords. Car d’abord, ici je ne parle pas à des enfants, ni au peuple, mais à une Académie d’hommes éclairés, qui me pose une question